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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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, rappela Tilloy.
     
    – Parlons-en, de ces asiles ! On y a entassé plus de deux cent mille miséreux, que votre Victoria est venue regarder sous le nez pour voir comment était fait un Irlandais famélique, tandis que cette grasse dinde se gavait de pâtisseries ! intervint un consommateur, prenant le relais de son compatriote.
     
    Dominant son agacement, Tilloy voulut développer le point de vue du monarchiste britannique outragé.
     
    – Ces landlords , que votre ami charge de tous les péchés, savez-vous qu'ils ont, pour la plupart, fait faillite quand ils n'ont plus reçu de fermages, et que la loi leur a interdit de vendre des propriétés grevées de dettes ? Vous mettez au compte de l'Angleterre les maux apportés par le mildiou, destructeur de vos champs de pommes de terre, et par des épidémies qui n'ont épargné ni le Royaume-Uni ni la France. Alors, cessez de gémir, cessez de boire et d'insulter notre reine, qui est aussi la vôtre, que cela vous plaise ou non !
     
    – On connaît le refrain. Avec vous, les pauvres ont toujours tort, grogna l'Irlandais.
     
    – L'Irlande a toujours été une mendiante mal embouchée, répliqua Tilloy au bord de la colère.
     
    C'était la phrase de trop. La réaction de ceux qui l'avaient perçue se traduisit par un grondement, des insultes en gaélique, donc incompréhensibles pour ceux qu'elles visaient, et le soudain encerclement des deux amis par une douzaine de dockers menaçants.
     
    – N'écoutez pas les laquais de ceux qui vendaient à l'étranger le blé, l'avoine et l'orge que nous avions fait pousser alors que nous n'avions pas de quoi cuire notre pain. Le mildiou a provoqué la première famine, peut-être, mais les landlords l'ont ensuite organisée pour se faire des rentes à placer dans la City. Quand vous traitez l'Irlande de mendiante, vous offensez gravement tous les Irlandais, Monsieur l'Officier, et nous pourrions vous en demander raison ! s'écria l'homme.
     
    D'autres, dans l'assistance, déjà copieusement éméchés, firent preuve de moins de retenue.
     
    – Jetez ces gens dehors ! cria l'un.
     
    – Balançons-les dans l'Hudson ! proposa un autre.
     
    – Trouvons du goudron et des plumes, on va en faire des corbeaux ! renchérit un troisième en croassant.
     
    Tandis que le tavernier tentait de ramener le calme, Mark Tilloy se tourna vers Desteyrac, stupéfait par la tournure de la discussion.
     
    – Si nous ne prenons pas la porte tout de suite, je crains qu'il ne faille nous colleter avec ces énergumènes, souffla le marin.
     
    – Pas question de céder le terrain sans O'Graney, dit Charles.
     
    – Êtes-vous prêt à vous battre, comme moi, pour l'honneur de la reine ? demanda Tilloy, un rien emphatique.
     
    – Comme l'a dit Horace Nelson, la veille de la bataille de Trafalgar : « L'Angleterre compte que chacun fera son devoir. » Je vous aiderai fraternellement à faire le vôtre, assura Charles, déterminé.
     
    – Merci. Mais, avec ces brutes, l'affaire peut être chaude, observa Mark à voix basse.
     
    – Victoria n'en saura rien, mais, dans ces circonstances, je me sens un peu anglais, confirma Desteyrac.
     
    Tilloy avisa un gamin qui, sur le pas de la porte, suivait avec intérêt l'évolution de l'altercation. L'officier lui tendit une pièce de dix cents.
     
    – Cours jusqu'au Phoenix , le grand bateau blanc à quai. Dis au premier matelot que tu verras que le lieutenant Tilloy a besoin d'aide à la Voice of Ireland. Si tu fais vite, tu auras une autre pièce.
     
    L'enfant prit sa course tandis que le lieutenant ôtait sa casquette et sa vareuse de toile blanche, signifiant ainsi qu'il ne reculait pas devant des rodomontades d'ivrognes.
     
    – Partez, gentlemen, partez, je vous prie ! Ces gens sont de redoutables pugilistes, vous allez vous faire casser les os, conseilla le tenancier, fort inquiet pour son mobilier et ses bouteilles.
     
    – Nous sommes nous-mêmes de redoutables pugilistes. Ces gens ont besoin d'une leçon d'hospitalité. Nous allons la leur donner, répondit Charles en suspendant sa veste et son chapeau à une patère.
     
    Charles Desteyrac et Mark Tilloy s'estimaient capables de tenir tête individuellement à des hommes accoutumés à se battre à poings nus, dotés d'une force rustique, plus lourds qu'eux, mais aussi moins vifs parce qu'engourdis par la bière. À condition toutefois qu'ils ne leur tombent pas dessus tous à la fois. Avant

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