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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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ajoutant à l'intention de lady Lamia que la fabrication du pont prendrait sans doute plusieurs mois. Puis il laissa aller sa plume pour une conclusion plus sentimentale.
     
    « Je pense souvent à Soledad et à Buena Vista, à votre marraine et à vous aussi avant quiconque. Le souvenir de nos baignades me hante et j'ai hâte de retrouver la vie simple et saine de nos îles. Je vous imagine au milieu des pêcheurs d'éponges ou, le soir, sirotant un verre de jus d'ananas sur la terrasse de ma petite maison du chantier. Promettez-moi d'y revenir. Acceptez que je vous dise, ainsi qu'à lady Lamia, bien sûr, que c'est à Buena Vista que j'ai eu le sentiment d'approcher au plus près le bonheur. »
     
    Il cacheta sa lettre sans ajouter qu'il se préparait à faire un voyage à New York pour assister aux fiançailles de lady Ottilia. Évoquer cette demi-sœur eût peut-être blessé Ounca Lou et provoqué un accès de jalousie moqueuse.
     
    Souvent, au cours des jours précédents, il s'était interrogé sur la véritable personnalité d'Ottilia, fourvoyée avec autorité dans sa vie. Depuis leur dernière rencontre, l'image de cette femme émergeait parfois soudainement de sa mémoire sans qu'elle fût sollicitée. La fille de lord Simon disposait-elle d'une force occulte pour s'imposer ainsi de loin ? Incrédule de nature, Charles Desteyrac observait ce phénomène équivoque avec une curiosité troublante.
     
    1 On peut voir à Coventry, sur l'esplanade de Broad Gate, une statue équestre de lady Godiva dans le simple appareil qui fit sa gloire.
     
    2 Nom donné alors par les Hollandais à la future ville de New York.
     
    3 Xavier Eyma, Les Trente-Quatre Étoiles de l'Union américaine , volume II, éditions Michel Lévy frères, Paris, 1862.
     
    4 Gisements sédimentaires de minerais lourds et précieux : or, platine, diamant.
     
    5 Michel Chevalier, Lettres sur l'Amérique du Nord , volume I, Société belge de librairie, Bruxelles, 1838.
     

5.
     
    La première visite de Charles Desteyrac, au soir de son retour à New York, fut pour Tom O'Graney, qu'il comptait trouver à bord du Phoenix . L'ingénieur devait remettre au maître charpentier les plans de deux barges à construire dès que le navire regagnerait Soledad. Ces radeaux seraient nécessaires pour transférer, du port occidental au sud de l'île, les lourds et encombrants éléments du pont de Buena Vista que le Centaur porterait des États-Unis aux Bahamas.
     
    – À cette heure-là, Tom est au pub Voice of Ireland avec ses foutus compatriotes, ivrognes et hâbleurs, dit Mark Tilloy, officier de service ce jour-là.
     
    – Ce pub est-il loin d'ici ?
     
    – Sur le quai à main gauche, vous ne pouvez le manquer. On entend brailler ces soiffards jusqu'à la pointe de Manhattan ! Mais si vous tenez à voir Tom, je vous accompagne, car ces mangeurs de pommes de terre ne sont pas toujours accueillants aux étrangers. Laissez vos plans à bord. Si le charpentier peut encore marcher, nous le ramènerons, sinon nous enverrons, comme d'habitude, quatre hommes pour porter cet hectolitre de bière jusqu'à son hamac ! s'exclama le lieutenant, enchanté d'accompagner le Français, de qui il appréciait le retour.
     
    Chemin faisant, Tilloy détailla les conquêtes amoureuses qu'il avait faites pendant l'absence de Charles, notamment celle de la jeune et fraîche épouse d'un vieil apothicaire aussi riche qu'indifférent à la conduite de sa femme.
     
    – Le mari est l'inventeur d'un emmenagogue, produit destiné à restituer leurs règles aux dames et demoiselles imprudentes qui les attendent en vain. À dix dollars la dose, cet homme augmente sans cesse sa fortune. Toute la journée occupé dans son officine à fabriquer, avec des herbes connues des Indiens, de quoi éviter surpopulation et divorces, ce bienfaiteur de l'humanité admet que sa femme ait des amants, à condition toutefois qu'ils soient de passage et de bonne éducation. Dans ce rôle, mon cher, rien de meilleur et de plus rassurant qu'un marin ! dit Tilloy, comblé par cette liaison sereine et éphémère. Et à Pittsburgh, avez-vous trouvé quelques personnes attrayantes ?
     
    Charles raconta comment, en compagnie d'un jeune ingénieur de Keystone Bridges Works, il avait passé d'agréables moments avec des jumelles vénales, aventure dont il ne tirait, avoua-t-il, aucune fierté.
     
    – Nécessité fait loi, mon cher. N'importe comment, nous finissons toujours

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