Le Pont de Buena Vista
soudain, fit face à son compagnon, lui prit la main et voulut la placer sur un sein ferme et bien pommé, prêt à jaillir du décolleté.
– Sentez comme mon cœur bat, dit-elle d'une voix rauque.
Charles résista, évita l'attouchement désiré, ne fit qu'effleurer le creux de l'épaule de l'adolescente.
– Non. Plus bas, plus bas, insista-t-elle.
Avant qu'il pût réagir, elle se dressa sur la pointe des pieds et posa sur les lèvres de l'ingénieur interloqué un baiser mouillé, aussi fougueux que maladroit.
Desteyrac la repoussa vivement.
– Allons, allons ! Vous êtes insensée et même imprudente, Lyne. Aguichés par vos élans puérils, certains hommes pourraient abuser de votre inexpérience. Soyez sage et allez dormir, commenta-t-il sèchement.
Mais la jeune fille, nullement décontenancée par la rebuffade, tint à justifier son comportement.
– Ma sœur et moi brûlons de connaître ce qui se passe quand on se trouve dans le lit d'un homme. Pour le savoir, le mieux est d'y aller voir, pas vrai ? dit-elle, naïvement impudique.
– Raisonnement irréfutable, miss !
– Bien sûr, nous ne pouvons demander ça ni à un monsieur d'ici ni à l'un de nos boyfriends .
– Ne comptez pas sur moi pour ce genre d'initiation, Lyne. Mais votre sœur aînée est mariée, n'est-ce pas ? Elle peut vous informer sans que vous alliez jusqu'au sacrifice de votre vertu, ironisa Charles.
– Edna fait grand mystère de tout ça. Elle dit que c'est sans intérêt et toujours pareil !
– Vous avez aussi des amies mariées. Ne font-elles pas de confidences ?
– Oui, bien sûr. Ursula, ma meilleure camarade de pension, du même âge que moi, s'est mariée il y a deux mois avec un beau comte italien. Elle m'a dit qu'au commencement, ce qu'il lui faisait la nuit paraissait bizarre et un peu dégoûtant, mais qu'avec l'entraînement, ça devenait très plaisant et même enivrant. Alors, Ann et moi nous avons envie d'essayer.
– Jolies et riches comme vous êtes, vous serez bientôt mariées et connaîtrez en toute bienséance ce que vous souhaitez découvrir… prématurément ! dit Charles en s'écartant.
– Nous sommes, Ann et moi, très heureuses chez Dad. Nous n'avons pas envie de prendre époux ni d'avoir des enfants, puisque les choses semblent aller de pair. Nous ne souhaitons pas posséder un hôtel particulier à Gramercy Park, avec des domestiques et tous les tracas imposés aux maîtresses de maison que nous connaissons.
– C'est le lot commun des bonnes épouses américaines, semble-t-il, observa Desteyrac.
– Sir Malcolm Murray, le plus charmant des hommes, sur lequel, hélas, la grande Alsacienne de cousine Ottilia a mis la main avant que nous ne rentrions de Long Island, m'a dit : « Pour les jeunes filles de la bonne société, le mariage est le passeport donnant accès au pays des plaisirs. » Mais moi, je veux être libre de voyager sans passeport ! déclara Lyne, péremptoire.
– Je ne pense pas que votre père approuverait le genre de voyage que vous envisagez, plaisanta Charles.
– Bon. C'est bien clair, vous n'avez pas envie de m'embrasser ni de m'emmener dans votre lit, dit-elle avec la résignation de qui, ayant fait fausse route, rebrousse chemin sans amertume.
– Il arrive que la raison l'emporte sur l'envie, Lyne. Ne soyez pas fâchée. Vous a-t-on dit que vous serez ma cavalière, désignée par votre père, au bal de fiançailles de lady Ottilia ?
Rendue à la joie enfantine, elle applaudit.
– Oh, comme j'en suis heureuse ! Mais le cavalier n'embrasse-t-il pas sa cavalière ? implora-t-elle, battant des cils comme elle avait vu faire à celles qu'on nommait pudiquement, à Washington Square, beautés professionnelles.
– Certes, avant qu'il ne s'en sépare, dit Charles en rendant, sans appuyer, le baiser dérobé.
Troussant sa robe sur un long pantalon de batiste orné de dentelles, Lyne Cornfield s'en fut en gambadant dans la pénombre, comme une fillette vers la maison de son père. Là où Charles voyait une décente conclusion, elle imaginait une excitante promesse.
En se mettant au lit, le Français se persuada que les audaces de ces jeunes Américaines étaient séquelles d'une éducation puritaine qui voulait ignorer les exigences naturelles des sens et, plus encore, les démangeaisons sexuelles des adolescents. En
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