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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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par payer, d'une façon ou d'une autre, les femmes qui partagent notre lit. Les plus coûteuses sont les épouses censées offrir gratuitement ce que d'autres monnaient ! Aussi, tenons-nous à l'écart du mariage ! conseilla Tilloy, dont l'humour souvent teinté de cynisme amusait Charles.
     
    – À propos de mariage, comment se présentent les fiançailles de lady Ottilia ?
     
    – Je sais par votre ami, l'honorable Malcolm Murray, qu'elle a insisté pour que vous soyez présent. Elle a demandé par deux fois de vos nouvelles à Colson pendant que vous étiez à Pittsburgh. Vous lui plaisez, Charles, et si votre nom était précédé d'une particule, vous pourriez aisément évincer Sampson et devenir le gendre de lord Simon, fit Mark non sans malice.
     
    – Mon arrière-grand-père paternel, que je n'ai pas connu, a recollé la particule de d'Esteyrac à la Révolution, en un temps où l'on pendait les aristocrates aux lanternes. Il se fit roturier pour sauver sa tête et assura ainsi sa descendance. Quant à prétendre à la main de lady Ottilia, holà ! Ce n'est pas le genre d'épouse que je rechercherais si, négligeant votre conseil, je ne me tenais pas à l'écart du mariage !
     
    – Je crois savoir, en effet, que vos goûts de célibataire vous portent plus vers les beautés insulaires que vers les Anglaises, risqua le lieutenant.
     
    – Si vous faites allusion à Ounca Lou, la fille naturelle de Cornfield, vous voyez juste, admit Charles.
     
    – Vous avez eu plus de chance que moi auprès de cette beauté exotique. Lors d'une traversée vers Nassau, elle découragea en termes mordants une aimable tentative de rapprochement…
     
    – Il faut vous faire à l'idée, Mark, qu'Ounca Lou n'est pas une fille légère. Mais, dites-moi, comment s'organisent les fiançailles de la superbe héritière de Soledad ?
     
    – Elles promettent d'être grandioses. Jeffrey T. Cornfield veut en faire un événement inoubliable. L'état-major du Phoenix est invité par lord Simon. Grande tenue blanche pour les officiers, avec décorations, si possible ; et nos marins, de neuf vêtus, feront la haie pour l'entrée au bal du soir, à l'hôtel Astor. Pour les plus intimes, dont vous êtes, tailcoat and white tie , habit et cravate blanche, précisa Tilloy, savourant par avance ces élégances.
     
    – Mais je n'ai ni queue-de-pie ni cravate blanche, observa Desteyrac.
     
    – Je vous conduirai demain chez Arnold Constable, sur la Ve Avenue. C'est le meilleur tailleur de New York. Il habille la bonne société depuis 1825, ce qui, en Amérique, est d'une longévité historique. En quelques heures, vous serez transformé, comme les autres, en figurant acceptable, assura Mark alors que les deux hommes arrivaient devant le débit Voice of Ireland.
     
    Ce pub portuaire, l'un de ceux où les dockers irlandais avaient coutume de se réunir pour échanger impressions ou adresses d'employeurs, et s'entraider en période de chômage, n'avait rien des beaux établissements de Broadway. Par la porte ouverte à deux battants de cette taverne aux vitres opaques, surmontée d'une enseigne de bois dont les pluies et le vent d'ouest avaient gangrené les lettres peintes, s'épanchait sur la chaussée le brouhaha composite de conversations tumultueuses d'où jaillissait parfois le coup de cymbale d'un juron ou les trémolos grasseyants d'un rire canaille.
     
    – C'est bien la voix de l'Irlande que nous entendons, ironisa Tilloy.
     
    Ils pénétrèrent avec circonspection dans la salle au plafond bas, noirci par les fumerolles des pipes et les grasses émanations des lampes à huile de baleine. Des hommes, assis autour de guéridons bancals ou accoudés au long bar à rampe de cuivre, parlaient haut et fort, comme si chacun eût voulu imposer ses propos à l'assistance.
     
    À peine avaient-ils fait trois pas que les visiteurs furent interpellés par un gaillard qui brandit ostensiblement dans leur direction un verre vide, indiquant par une mimique qu'il souhaitait le voir bientôt empli.
     
    – Ici, les Yankees sont bienvenus à condition qu'ils honorent saint Patrick en offrant aux enfants d'Irlande, bons chrétiens, de quoi humecter leur gosier asséché par le chant des hymnes et la prière ! lança, jovial, le buveur.
     
    Le tenancier, voyant la gêne des étrangers, quitta l'abri du comptoir et vint au-devant d'eux.
     
    – Gentlemen, que puis-je faire pour vous ?
     
    – Je suis le second

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