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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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Russell.
     
    Comme tous les planteurs propriétaires d'esclaves, Bertie III Cornfield et sa famille étaient encore sous le coup de l'émotion causée dans le Sud du fait de l'agression criminelle commise au cours de la nuit du 24 au 25 mai par un illuminé nommé John Brown. Cette nuit-là, un ancien éleveur de moutons de l'Ohio, devenu fermier à North Elba, dans l'État de New York, s'était rendu avec ses quatre fils et trois compagnons dans le Kansas, où s'affrontaient depuis deux ans esclavagistes et abolitionnistes aux fins d'établir le statut de l'État. Se croyant investis d'une mission divine pour déraciner l'esclavage, John Brown et sa bande avaient tiré de leur lit cinq habitants de Pottawatomie Creek et les avaient massacrés avant de prendre la fuite. On savait maintenant que Brown voulait fonder une république antiesclavagiste dans les Appalaches, mais qu'il n'avait recruté, à ce jour, que onze Blancs et trente-cinq Noirs prêts à le suivre.
     
    – Il faut saisir et pendre ce bandit avant qu'il ne fasse plus de mal ! dit Bertie III quand fut évoquée l'affaire avant de passer à table.
     
    – Tous les abolitionnistes honnêtes et sensés ont condamné ces crimes, cousin. Votre institution particulière, que je réprouve, vous le savez, ne sera pas abolie par l'assassinat et la violence, mais par un accord politique entre tous les États de l'Union et avec une juste compensation financière pour les propriétaires de nègres, dit lord Simon, conciliant.
     
    – Vous parlez ainsi parce que vous êtes anglais et vivez sur une île britannique, mais notre point de vue est différent. Pour nous, planteurs des États du Sud, il n'existe pas d'abolitionnistes sensés ou modérés. Tous, quels qu'ils soient, veulent nous priver de notre main-d'œuvre, ruiner l'économie du sud cotonnier, nous imposer une civilisation industrielle et mercantile qui ne peut convenir aux mœurs des Cavaliers 2 . Savez-vous que l'on compte dans l'Union cinq cent mille nègres libres au Nord et trois millions et demi d'esclaves au Sud ? À Charleston, les nègres sont trois fois plus nombreux que les Blancs et leur donner la liberté serait signer notre arrêt de mort. D'ailleurs, le parti républicain est satisfait de nous voir résister aux théories abolitionnistes. Ces politiciens ne veulent surtout pas d'accord entre le Nord et le Sud. Ce qu'ils espèrent, c'est une révolution contre les Sudistes !
     
    – Une telle aventure irait contre leurs intérêts. Vous savez bien que les filatures du Nord – on en compte, dit-on, près de mille, dont celles du Massachusetts, dans lesquelles notre cousin Jeffrey a investi pas mal de dollars –, travaillent grâce à votre coton, comme nos filatures de Manchester, observa lord Simon.
     
    – Mais les filateurs du Nord, Jeffrey comme les autres, nous paient le coton un prix dérisoire : dix cents trente-neuf la livre l'an dernier, et nous n'avons dans le Sud qu'une cinquantaine de filatures. C'est pourquoi il faut nous séparer du Nord, qui pille nos ressources. D'ailleurs, certains abolitionnistes prônent eux aussi la dissolution de l'Union, comme ce Thomas Clarkson dont on répand les brochures. Il propose de rompre les liens politiques entre le Nord et le Sud au nom de la religion, parce que nous autres, Sudistes, vivons en état de péché mortel ! dit Bertie III, soulevant l'indignation de son épouse et l'apitoiement courtois des autres convives.
     
    Le majordome ayant annoncé : « Sa Seigneurie est servie », la discussion fut abandonnée. Au cours du repas, on ne fit qu'échanger des banalités jusqu'au moment où Mme Bertie Cornfield, née Varina Seldon, révéla qu'après le mariage d'Ottilia la famille se rendrait à La Havane à bord du Southern Star .
     
    – J'ai l'intention d'acheter sur l'île de Cuba une ou deux plantations. Là-bas, on peut faire travailler les nègres du lever au coucher du soleil sans être insulté par les pasteurs anglais qui prêchent l'abolitionnisme Bible en main, compléta Bertie III avec humeur.
     
    – J'ai vendu, l'an dernier, la plantation que je possédais à Matanzas, cousin. Je ne m'entendais plus avec mes voisins cubains, informa lord Simon.
     
    – Vous avez eu tort de vendre car, si le parti démocrate désigne James Buchanan comme candidat à la présidence et si Dieu veut qu'il soit, comme nous le souhaitons, élu président de l'Union, l'annexion de Cuba par les États-Unis ne

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