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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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manquera pas de se faire. Nous compterons alors, étant donné la sympathie de Buchanan pour notre cause, un État de plus où fonctionnera, au mieux de nos intérêts, l'institution particulière que vous décriez. Votre exploitation aurait pris de la valeur…
     
    Après le dîner, lord Simon voulut montrer à ses invités le crâne de cristal de roche tiré de la fuente del Ángel, « son Graal », comme disait Lamia, mystérieux trophée dont il faisait ses délices. C'est en quittant la pièce où le crâne était exposé que Bertie III tomba en arrêt devant un objet qui ranima son exaspération contre les abolitionnistes.
     
    – Vous, au moins, mon cousin, vous affichez jusque dans votre salon vos sentiments antiesclavagistes ! s'écria le planteur, désignant, rageur, un médaillon de porcelaine.
     
    L'objet représentait un Noir en prière et portait en légende l'interrogation : «  Am I not a man and a brother 3   ?  »
     
    – Je tiens cette pièce de mon grand-père. Vous voyez que nous ne sommes pas des abolitionnistes de fraîche date, répliqua sèchement lord Simon.
     
    – J'imagine que vous avez aussi dans votre bibliothèque les pamphlets de Sara et Angelina Grimké, et la Case de l'oncle Tom , le roman empoisonné de Harriet Beecher-Stowe. De tels écrits ne peuvent qu'inciter les John Brown à venir nous trancher la gorge au nom du Christ ! fulmina Bertie III.
     
    Charles, voyant la jolie Varina Cornfield ennuyée par le ton que prenait la dispute, crut bon d'intervenir pour ramener la confrontation entre les cousins aux seules considérations politiques. Il s'adressa à Bertie III.
     
    – Croyez-vous sincèrement à une possible dissolution de l'Union ? demanda-t-il.
     
    – Vous autres, Français, connaissez mal la situation, et vos diplomates ne s'en préoccupent guère. Sachez que chez nous, en Caroline du Sud, existe depuis 1851 une Association des droits du Sud. Son but est de faire connaître au peuple les empiétements de l'autorité fédérale et ceux des États du Nord sur le Sud. Déjà cinq cents délégués, réunis en février 1852, avaient résolu que le droit de sécession était essentiel à la souveraineté et à la liberté des États ; que le refus de reconnaître ce droit fournirait à un État opprimé une raison de plus d'y recourir. Des associations identiques à la nôtre existent dans le Mississippi, la Georgie et l'Alabama, mais celle de Caroline du Sud a été la première à recommander la rupture des liens politiques avec le Nord. Nous sommes donc assez forts, monsieur, pour tenir tête au gouvernement fédéral et à tous les abolitionnistes réunis, dit le planteur.
     
    Lord Simon fut bien aise de voir son cousin prendre assez tôt congé. Sous prétexte de parler travaux, il retint Charles et fit apporter cigares et vieil armagnac.
     
    – Bertie, qui possède plus de quatre cents esclaves – bien traités, il faut le reconnaître, pour lesquels il a même construit un dispensaire afin de les maintenir en état de travailler –, rêve d'une république esclavagiste qui s'étendrait du Potomac au Río Bravo, exposa Cornfield.
     
    – Une telle république aurait contre elle toutes les nations civilisées et ne pourrait survivre, souligna Charles.
     
    – J'en suis certain. Mais avouez que cette utopie peut faire des ravages dans les esprits, au Nord comme au Sud, et conduire à une guerre civile entre citoyens américains. Que pèserait notre archipel dans un tel conflit ? demanda le lord.
     
    – La flotte britannique le protégerait, répondit Charles sans conviction.
     
    – En cas de conflit entre le Nord et le Sud, fit lord Simon, nous autres Anglais devrions agir avec circonspection et, si possible, ne pas prendre ouvertement parti, même si cela vous paraît un peu spécieux. D'une part, nous avons besoin du coton du Sud pour faire tourner les broches de nos filatures, d'autre part, les droits de douane fédéraux ne sont guère favorables à notre commerce… Alors !
     
    – Question d'honneur et de conscience, observa Charles.
     
    – Comme le disait notre roi Charles II : « L'honneur et la conscience sont des chimères. Un roi ne doit gouverner que par les règles de la prudence et de la nécessité », cita Cornfield, toujours pragmatique.
     
    Après quelques considérations techniques sur le premier pont enjambant le Mississippi entre Davenport, Iowa, et Rock Island, Illinois, inauguré le

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