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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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d'un cannage, placé devant ce meuble imposant, et se dit qu'il ferait bon travailler là. Une armoire, une commode de bois clair, deux petits guéridons et deux fauteuils Chippendale, d'inspiration chinoise, au dossier constitué de croisillons en bois et surmonté d'un motif sculpté, composaient un décor intime. Une table d'acajou patiné et des chaises au dossier ajouré d'époque Chippendale avaient été extraites du garde-meuble de Cornfield Manor et portées chez Charles dans un angle de la pièce, devant une fenêtre qui donnait sur la galerie. « Mon ami Simon a voulu placer chez vous cette petite salle à manger ancienne, venue d'Angleterre il y a bien longtemps, afin que vous puissiez prendre confortablement vos repas et vous sentir en pays civilisé », avait précisé Carver.
     
    La vue, sur une desserte, d'un service à thé en fin grès de Wedgwood, fond bleu pâle, décor à l'antique en relief blanc, fit sourire Desteyrac. Devrait-il se plier au rite de l' afternoon tea , qui prévalait, sous cette latitude, comme en Angleterre, aussi bien à Cornfield Manor que chez Carver ?
     
    La chambre à coucher et le cabinet de toilette attenant étaient, en revanche, d'une sobriété monacale. Un lit de type matrimonial, flanqué de chevets rudimentaires, occupait la plus grande surface de la pièce. Une armoire et une commode de pin caraïbe, essence qui abondait sur l'île, suffirent pour ranger la garde-robe réduite et le linge de Charles. Il découvrit avec étonnement une antique baignoire de bois. Timbo expliqua qu'il fournirait chaque matin eau chaude et eau froide pour les ablutions de Mossu l'Ingénieu'.
     
    Revenu dans la pièce principale, Charles dressa, sur son support pliant, sa planche à dessin, et tira de ses bagages les instruments dont il aurait besoin pour tracer des plans. Ravi de son installation, il constata que sa montre marquait cinq heures. Il sortit sur la galerie, s'assit dans un fauteuil de rotin à oreillettes, et appela Timbo.
     
    – Que boit-on, ici, à cette heure-là ?
     
    – Le thé, mossu. Il est p'êt, mossu.
     
    – Va pour le thé, dit Charles en riant.
     
    Il se prit à imaginer la surprise et les quolibets de ses amis parisiens, l'étonnement de Rosalie, pour qui le thé restait une tisane qu'on ne buvait que pour se remettre d'une indigestion.
     
    Il se régalait d'un biscuit parfumé au gingembre quand un Lucayen apparut dans l'allée qui séparait la maison du major de celle de Charles. Timbo, qui semblait veiller discrètement, se précipita à la rencontre de l'arrivant. Après un bref échange, il accompagna l'homme, un mulâtre timide, jusqu'au pied de l'escalier.
     
    – C'est lett'e pou' vous, dit Timbo en invitant l'insulaire à tendre l'enveloppe qu'il tenait à la main.
     
    Le message émanait de Malcolm Murray.
     
    « Cher Charles, je suis installé dans le logement du palefrenier, à Cornfield Manor. Tout escalier m'étant pour l'instant impraticable, mon oncle m'a proposé cet asile qui sent furieusement le crottin. Venez ce soir, je vous en prie, partager mon premier repas d'exilé. Je suis dans la plus absolue désolation. Le porteur de la présente me transmettra votre réponse. Je compte sur vous. Votre ami, Malcolm. »
     
    Bien que faisant la part d'une exagération dont l'honorable Malcolm Murray gonflait trop souvent ses propos, Desteyrac griffonna son acceptation sur une carte de visite qu'il glissa dans une enveloppe.
     
    – Dis à ce garçon de porter tout de suite ce message à sir Malcolm Murray, ordonna Charles à Timbo.
     
    L'Arawak transmit l'ordre au jeune commissionnaire en usant du dialecte local, encore incompréhensible pour le Français.
     
    Ce que Murray nommait avec un peu de mépris le logement du palefrenier était, en fait, celui de l'ancien maître d'équipage des Cornfield : trois belles pièces, un salon, une salle à manger et une chambre donnant toutes de plain-pied sur un parterre de gazon, agrémenté d'hibiscus prêts à fleurir à l'ombre des palmiers. Dans le salon, bas de plafond, une table à abattant en acajou, des fauteuils basculants, un secrétaire en palissandre surmonté d'une vitrine qui abritait l'argenterie, conféraient au lieu une atmosphère d'intérieur anglais des plus classique.
     
    Charles Desteyrac trouva le jeune homme allongé sur une méridienne de rotin, confortable interprétation locale d'un meuble européen très en vogue depuis la fin du siècle précédent,

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