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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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comme le voulait lady Mary Ann. Et, quand la lettre de cette sœur, que j'ai dû lui remettre, lui a appris les véritables raisons de la restitution inopinée mais avortée de sa fille, sa déconvenue a été cruelle. D'ailleurs, Otillia, qu'il appelle comme nous tous Otti – et, quand il est de bonne humeur –, Rosebud, n'a plus rien à ses yeux, ce matin, d'un bouton de rose. Il a, sur-le-champ, décidé d'envoyer un courrier en Caroline du Sud, chez les cousins où lady Ottilia est censée se rendre. Le Centaur appareillera ce soir pour Charleston. Rodney, qui le commande, a mission de ramener la fugitive coûte que coûte, « attachée au mât si nécessaire », a ordonné Simon. Ne vous étonnez donc pas si l'accueil de Cornfield a, ce matin, manqué de chaleur. En revanche, l'annonce que j'ai dû faire de l'arrivée, elle aussi inattendue, de son neveu Malcolm n'a pas, comme je le craignais, attisé sa colère. À mon grand étonnement, il a assez bien pris la chose. Il m'a même dit que cette visite lui donnerait un peu de distraction.
     
    – J'en suis heureux pour Malcolm, mais avouez, major, que mon séjour ne commence pas sous les meilleurs auspices. Je crains de commettre des impairs dont le maître de l'île pourrait me tenir rigueur. Aussi vais-je me cantonner dans mon travail de bâtisseur de pont. Puisque lord Simon m'a précisé que c'est à vous que je dois montrer projets et plans, je ne serai pas obligé de le voir souvent, conclut Charles, maussade.
     
    D'un naturel confiant et spontané, l'ingénieur appréciait les relations franches et directes, ce que ne promettait pas Cornfield.
     
    – Avec le temps, croyez-moi, vos rapports avec Simon deviendront aisés. J'en suis persuadé, dit Edward en donnant une tape amicale sur le genou de Charles.
     
    – Parlez-moi un peu du pont de fer qui fut détruit par un ouragan « resté fameux », dit Desteyrac, revenant à des considérations moins personnelles.
     
    – C'était l'œuvre d'un architecte américain qui a collaboré à la construction du pont suspendu de Wheeling, sur l'Ohio, en 1849. Malgré ses références, cet homme ne fut pas capable de faire pour nous un ouvrage solide. Son arche de fil de fer fut tire-bouchonnée, comme beignet dans la friture, par une tempête, et jetée en pièces à la mer. Nos pêcheurs et les gens de Buena Vista ont récupéré des poutrelles pour faire les charpentes de leur case ! Je vous les montrerai sur place, promit Edward Carver.
     
    Cet après-midi-là, après un excellent déjeuner de coquillages et de poisson à la table du major, Charles Ambroise Desteyrac prit possession de son bungalow et, du même coup, du domestique qui lui était affecté, l'Arawak nommé Timbo, qui l'avait déjà conduit chez Cornfield. L'ingénieur s'informa des circonstances qui avaient permis à cet enfant des Lucayes d'apprendre le français.
     
    – J'y été p'is, y a bien du temps, pa' bateau f'ançais, pou' fai'e cuisine, et po'té à Guadeloupe, dans maison de la femme du capitaine. J'étais pas mal. Bonne et gentille femme. Ap'ès t'ois ans, j'ai caché su' bateau espagnol de Cuba, et 'evenu ici, bien content, expliqua l'Indien.
     
    C'est au cours de ce séjour forcé dans une colonie française qu'il avait appris le français des créoles.
     
    – J'y fais bon manger, si', et ma tite seu' lave et 'epasse t'é bien le linge, si', dit Timbo, la lèvre gourmande.
     
    – Eh bien, je suis certain que tu sauras t'occuper très bien de mon petit ménage, dit Charles, usant, comme Carver l'y avait invité, du tutoiement de rigueur quand on s'adressait aux indigènes.
     
    Cette familiarité imposée choquait l'ingénieur. Il y voyait une façon de signifier aux Indiens et aux Noirs une infériorité raciale qui restait à démontrer. Seuls certains mulâtres, à qui l'on confiait des responsabilités, étaient voussoyés comme les Blancs.
     
    Tout de suite, il se sentit à l'aise chez lui. Une grande pièce, ouverte sur une petite galerie abritée sous un avant-toit, tenait lieu de salon, de salle à manger et de bureau. De part et d'autre d'une cheminée de pierre à manteau de bois, Carver avait fait disposer des rayonnages destinés à recevoir des livres. Devant une fenêtre aux jalousies à demi closes, une longue table, faite de pin caraïbe, manifestement neuve car le bois exhalait encore un parfum végétal, tenait lieu de bureau. Charles trouva confortable le large fauteuil de bois, garni

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