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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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Lamia.
     
    Elle prit le bras de Charles pour le conduire dans une salle à manger au classique mobilier Chippendale. Avant le dessert, composé de fruits fraîchement cueillis, Charles obtint l'autorisation d'établir entre Soledad et Buena Vista un va-et-vient par câbles aériens qui lui permettrait de passer d'une île à l'autre dans une nacelle pour étudier le terrain et préparer ses plans.
     
    Au milieu de l'après-midi, M. Desteyrac regagna Soledad par la mer, à marée basse. Une complicité spontanée s'était établie en quelques heures entre l'ingénieur et la maîtresse de Buena Vista. Ils se séparèrent sur le ponton où Lamia avait tenu à l'accompagner, montrant ainsi à ses gens en quelle estime Fish Lady tenait son visiteur.
     
    – Si je m'étais opposée à vous et à votre pont, mon frère, cet obstiné, aurait engagé un autre ingénieur qui n'aurait sans doute pas eu vos prévenances, glissa-t-elle, malicieuse, à l'oreille de Charles, sans doute pour atténuer la portée de sa victoire.
     
    – En somme, vous avez accepté le pont en sachant que, n'importe comment, il vous serait imposé ! répliqua le Français, un peu dépité.
     
    – Ce n'est pas le pont que j'ai accepté… c'est vous ! dit-elle en tendant sa main à baiser.
     
    1 Idoles des Antillais précolombiens, les zemis étaient constitués de pierre, de terre cuite, de craie, voire de coton.
     
    2 « Quand l'œil ne voit pas, la bouche ne parle pas. »
     

2.
     
    Quelques jours après sa visite à lady Lamia, Charles, pour la première fois depuis son débarquement sur l'île, fut invité à dîner par lord Simon. Il crut nécessaire d'informer Edward Carver de cette soudaine faveur.
     
    – Simon m'a fait part de son intention. Il ne veut pas que vous restiez sur la mauvaise impression qu'il a pu produire le jour de votre arrivée, alors qu'il était profondément contrarié par les nouvelles de sa fille et dérouté par la présence inopinée de son neveu. Je puis vous dire que vous dînerez tête à tête. Il n'a pas jugé utile de me convier, pas plus que Malcolm Murray, dit le major, dissimulant sous un sourire une petite déception.
     
    – Sachant le peu de rapports que lord Simon entretient avec sa sœur, j'imagine qu'il veut savoir comment lady Lamia a accueilli son projet de pont, suggéra Charles, qui avait déjà fait part au major du succès de sa démarche.
     
    – Certainement, mais je crois surtout que Simon veut vous mieux connaître. Je lui ai expliqué qu'un ingénieur diplômé de l'École des ponts et chaussées de Paris appartient à une élite, très prisée par les ministres chargés des Travaux publics dans les gouvernements européens. J'ai dû aussi, en réponse à sa question, lui donner les raisons politiques de votre refus de travailler pour Napoléon III. Il aime ceux qui mettent leurs actes en accord avec leurs idées, précisa Carver.
     
    – Peut-être alors pourrons-nous nous entendre, fit Charles.
     
    – Bien qu'il ne s'agisse que d'un petit dîner informel, mettez tout de même un costume et une cravate noire, mon ami, conseilla le major en raccompagnant l'ingénieur.
     
    Le tailleur n'ayant pas encore livré les vêtements commandés, Desteyrac, soucieux d'être dans le ton, endossa donc sur une chemise blanche son meilleur costume, que Timbo avait adroitement repassé. Sa tenue, pour correcte qu'elle fût, lui parut incongrue sous une latitude à la fois tropicale et britannique.
     
    – Ici on s'habille blanc pour dîner, mossu, observa Timbo, réprobateur.
     
    – Dès que Fili-Fili Percy aura fini, je ferai meilleure figure. En attendant, lord Simon me prendra comme je suis, répliqua Charles, d'autant plus agacé qu'il se sentait mal à l'aise.
     
    Puis il ordonna :
     
    – Attelle Zéphyr et conduis-moi à Cornfield Manor. On ne fait pas attendre le seigneur de Soledad !
     
    La voiture n'était pas immobilisée devant l'escalier du manoir que lord Simon apparut sur la galerie, main tendue. Charles constata avec satisfaction qu'il portait un simple complet de flanelle grise et une cravate dans le même ton. Cette tenue de dîner, sans doute inhabituelle chez le maître de l'île, prouvait la déférence que, gentleman, il entendait marquer à un invité étranger encore démuni de vêtements adaptés au climat.
     
    – Je suis bien aise que vous ne me teniez pas rigueur, Monsieur l'Ingénieur, de mon précédent accueil, plus que désinvolte.

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