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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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sikh.
     
    – On peut tout craindre d'un garçon qui en veut à la terre entière parce qu'il a une jambe plus courte que l'autre… Voyez : il manque des balles, dit Carver en montrant des alvéoles vides dans la boîte.
     
    Le major prit le second pistolet, glissa cinq balles dans le barillet et, retrouvant un geste militaire, passa l'arme dans sa ceinture.
     
    – Allons d'abord chez lui, ordonna-t-il.
     
    – À mon avis, il n'est pas dans son appartement des écuries. Nous devrions plutôt aller du côté de Pirates Tower, au-dessus de Cornfield Manor. Je sais que Malcolm se tient souvent sur cette falaise pour rêvasser en guettant les navires venus d'Europe, dit Charles.
     
    Edward Carver ordonna à Poko de se rendre seul et avec discrétion jusqu'à l'appartement de Murray.
     
    – Et moi, je vais avec vous, dit-il à Charles en quittant la maison.
     
    Les deux hommes contournèrent les bungalows où logeaient le commandant Colson, Mark Tilloy, d'autres officiers de marine et quelques familles aisées, pour emprunter l'étroit chemin qui, derrière le manoir, gravissait le flanc de la cuvette du Cornfieldshire, au nord de l'île. Ils avaient en vue, au sommet de la colline, découpure ocre et bancale sur le ciel indigo, la ruine de l'ancienne tour de guet des pirates. Un siècle plus tôt, les écumeurs des Caraïbes, craignant d'être surpris dans leur repaire par les Espagnols ou les Anglais, avaient édifié cet observatoire rudimentaire.
     
    Ce matin-là, l'été tropical triomphait dans une symphonie de couleurs éblouissantes et de parfums entêtants. La sente pentue sinuait au milieu des buissons : hibiscus safranés, bougainvillées mauves, jasmins blancs, lauriers-roses, allamandas jaunes – qui tenaient leur nom d'un herboriste suisse, ami de Linné –, passiflores dont les étranges corolles, architectures complexes et fragiles, fascinaient Charles. Seuls poincianas, frangipaniers et grenadiers, dont les fleurs déclinaient toute la gamme des rouges, offraient un peu d'ombre. C'est en sortant du dernier bosquet que Charles reconnut la silhouette de Murray. Le jeune Anglais gravissait péniblement la pente en s'aidant de sa canne.
     
    Plus alerte, Desteyrac avait quelques pas d'avance sur Carver. Il fit signe au major de s'arrêter et de se taire, le temps que Murray eût atteint la crête derrière laquelle la falaise plongeait de plus de trente mètres sur un champ de récifs balayés par les vagues.
     
    – Malcolm, attendez-moi ! cria Desteyrac, les mains en porte-voix.
     
    Surpris, le jeune architecte se retourna, reconnut Charles et, passant sa canne dans sa main gauche, saisit de la droite le colt serré dans son gilet.
     
    – Occupez-vous de vos affaires, Desteyrac ! Je règle les miennes à ma guise. Faites votre pont, c'est tout ce que Dieu et Cornfield vous demandent. Et vous, Carver, rapportez à mon père ce que vous allez voir. Et qu'il en crève de remords ! ajouta Malcolm en apercevant le major derrière Charles.
     
    – Il va se tuer et son corps tombera de la falaise, souffla Carver.
     
    – Malcolm ! Vous ne pouvez partir en laissant une dette d'honneur ! s'écria Charles.
     
    – Une dette d'honneur ? s'étonna l'Anglais.
     
    – Rappelez-vous : nous avons un duel en suspens depuis que j'ai refusé de baiser la main d'Ottilia, un soir, à bord du Phoenix . Moi, je n'ai pas oublié ! Nous devons régler ça en gentlemen avant que vous ne vous esbigniez comme un banqueroutier. Si vous voulez mourir, je puis vous y aider loyalement, lança Desteyrac, se rapprochant de quelques pas après avoir fait signe à Carver de lui remettre son pistolet.
     
    – Je ne veux pas finir avec un crime sur la conscience, monsieur Desteyrac. Je suis très fin tireur. Rendez son arme au major et rentrez chez vous. Je n'aurai même pas besoin de sépulture, cria Murray en faisant un pas en arrière, ce qui l'amena à l'extrême bord de l'à-pic.
     
    – Je vous connais une foule de défauts, Murray, mais je n'aurais jamais pensé que vous fussiez assez couard pour quitter la vie sans avoir lavé l'outrage fait à une aristocrate anglaise par un roturier français ! répliqua Charles.
     
    – Vous l'aurez voulu ! Approchez donc ! hurla Murray, piqué au vif.
     
    Charles gravit les quelques mètres qui le séparaient du bord de la falaise, jeta un regard en contrebas sur les vagues qui se brisaient sur les rochers, et ôta son veston.
     
    – Vous

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