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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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honnête homme doit le faire. C'est ainsi qu'agit Harriet Tubman, une dame noire que les esclaves comparent à Moïse. Elle fait passer au nord des États-Unis des douzaines de fuyards du Sud grâce à son réseau abolitionniste que les Américains nomment chemin de fer clandestin. Elle ne dispose pas de train, bien sûr : le langage ferroviaire n'est ici qu'un code pour initiés. Une gare est une cachette sûre, une jonction un passage dangereux…, révéla le major.
     
    – Ottilia eût mieux fait d'utiliser ce circuit plutôt que de nous envoyer ces nègres dont il va falloir s'occuper, observa Cornfield avant de réclamer un deuxième bol de bouillon.
     
    – Elle a dû parer au plus pressé, dit Murray, toujours prêt à prendre la défense de sa cousine.
     
    – Nous voici en tout cas avec de nouveaux nègres sur les bras. Je les ai logés dans un hangar du port occidental, mais vous allez devoir leur trouver des cases et aussi du travail, car je ne veux pas qu'ils restent oisifs, indiqua le lord en posant sur son vieil ami Carver un regard affectueux.
     
    – Mais, comment donc ! Ce ne sera pas difficile, répondit le major avec un sourire à l'adresse de Charles.
     
    – Rodney ne m'a pas caché que les planteurs spoliés – c'est comme ça qu'ils disent quand on leur prend un nègre, considéré comme bien mobilier négociable ! – sont capables, étant donné le nombre d'esclaves fugueurs, de fréter un bateau pour venir jusqu'ici réclamer leur propriété. Un nègre robuste et bien portant de moins de trente ans vaut, à New Orleans, de mille deux cents à mille huit cents dollars, précisa le lord.
     
    – Les propriétaires d'esclaves risquent de se manifester avec d'autant plus d'audace qu'ils ont toujours, dans ces affaires, le soutien des autorités, et peut-être, dans le cas présent, obtiendront-ils celui de la milice de la Caroline, compléta Edward Carver.
     
    – Eh bien, s'ils se présentent, même armés, nous saurons ensemble les recevoir comme il convient, dit simplement Cornfield, laissant entendre que, du seigneur de Soledad au dernier des Arawak en passant par officiers et marins, un affrontement avec les esclavagistes ne faisait peur à personne.
     
    Le repas s'acheva dans une atmosphère détendue, après quoi les trois hommes demeurèrent longtemps à bavarder sur la galerie en sirotant des alcools. Charles s'enhardit à poser une question qui, depuis longtemps, lui brûlait les lèvres.
     
    – Est-il exact qu'il n'y eut jamais d'esclaves à Soledad ? demanda-t-il.
     
    – En tout cas, pas depuis trois générations de Cornfield. Nous sommes abolitionnistes et opposés à l'odieuse pratique de l'esclavage, que nos cousins de Charleston appellent, charmant euphémisme, l'institution particulière. C'est, monsieur, un engagement peu courant et fort critiqué à Nassau. Je soutiens discrètement de mes deniers The Liberator , organe des abolitionnistes, fondé en 1831 à Boston par deux journalistes courageux, William Lloyd Garrison et Isaac Knapp.
     
    – Lady Lamia m'a dit qu'il y eut autrefois beaucoup d'esclaves dans les îles Bahamas, et qu'il y en a peut-être encore, insista Charles.
     
    – On en comptait plus de dix mille dans l'archipel quand les autorités britanniques imposèrent leur recensement dans toutes les possessions de la Couronne, après le traité de 1822 qui interdit la traite. À la veille du British Emancipation Act de 1833, on en dénombrait encore plus de sept mille, pour lesquels plus de mille colons réclamèrent les compensations financières promises par la loi à qui affranchirait ses esclaves. Les Noirs que vous croisez aujourd'hui sur notre île sont des esclaves libérés ou des descendants d'esclaves qui fuirent les plantations exploitées depuis la fondation des États-Unis sur d'autres îles par les loyalistes.
     
    – J'entends souvent parler des loyalistes. Qui sont-ils ? demanda Charles.
     
    D'un signe de tête, lord Simon, absorbé par l'allumage d'un cigare, fit signe à Carver de répondre. Le major, considéré comme féru d'histoire de l'archipel, eût fait un excellent pédagogue. Il s'exécuta de bonne grâce.
     
    – Ainsi nomme-t-on encore ici les colons anglais qui refusèrent, lors de la révolution de 1775-76, de devenir américains, et restèrent loyalement fidèles à la couronne d'Angleterre – d'où leur nom. Ce fut le choix des Cornfield, grands propriétaires dans les deux

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