Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
Vom Netzwerk:
confiance à la déconvenue paternelle, lord Simon débarqua sans se faire annoncer, à l'heure du dîner, chez Edward Carver. Ce soir-là, le major traitait Charles Desteyrac et Malcolm Murray, capable de se déplacer sans canne depuis que le cordonnier avait adroitement surélevé le talon de son soulier pour compenser sa jambe trop courte.
     
    L'irruption du lord surprit les convives, à qui Poko venait de servir un bouillon de tortue. Le fait que le major ne fût pas seul n'influença pas l'attitude désinvolte du visiteur inattendu.
     
    – Pardonnez mon intrusion, mais j'ai besoin d'oreilles compatissantes ! lança, rageur, Cornfield.
     
    Il s'assit à califourchon sur une chaise dont il cramponna le dossier avec une telle force que Charles vit, sous la pression nerveuse, blanchir ses phalanges.
     
    – Mon Dieu, Simon, que vous arrive-t-il ? Et d'abord, avez-vous dîné ? demanda posément Carver.
     
    – Pas faim ! Ce qui m'arrive, c'est que Rodney vient de rentrer de Charleston sans Ottilia. Quelle indiscipline !
     
    – Tiens, sans lady Ottilia ? feignit de s'étonner Carver.
     
    En effet, le major était déjà informé, ce qu'ignorait Cornfield, de l'échec de la mission de Rodney.
     
    – Elle s'est enfuie après s'être fâchée avec nos cousins de Charleston et avec tous les planteurs des bords de la rivière Ashley : les Drayton, les Middleton, les Redcliffe et d'autres. Elle les a traités de sales esclavagistes, leur a prédit les pires châtiments s'ils n'émancipaient pas leurs esclaves, avec qui elle s'entretenait d'ailleurs comme s'il se fût agi de vieilles connaissances. En quittant Bertie III Cornfield, elle a annoncé qu'elle rejoignait, dans le Nord, les sœurs Grimké, à qui le gouverneur a interdit la Caroline depuis qu'Angelina, la cadette, a publié à Philadelphie un livre contre l'esclavage. Le père Grimké, juriste jusque-là très coté, a perdu, depuis la rébellion affichée de ses filles, la moitié de ses pratiques. Bertie a tenté de dissuader Ottilia d'adopter le radicalisme d'Angelina. Vainement, bien sûr.
     
    – Un père ne saurait être responsable des actes d'une fille majeure, n'est-ce pas ? persifla Edward Carver, gentiment goguenard.
     
    Le lord émit un grognement. Charles, en son for intérieur, trouvait l'attitude d'Ottilia sympathique et courageuse, mais ce fut Murray qui traduisit les pensées que l'invité étranger ne pouvait exprimer.
     
    – Bravo ! Elle a rudement bien fait, Ottilia, et je suis certain, mon oncle, que vous ne désapprouvez pas ce qu'elle a pu dire aux esclavagistes de Caroline.
     
    Lord Simon émit un nouveau grognement, perçu comme une approbation contrainte.
     
    – Mais les Bertie Cornfield sont nos cousins, et Ottilia leur doit respect et politesse, grommela-t-il.
     
    Recouvrant peu à peu son calme, il fit pivoter sa chaise, l'approcha de la table où Poko avait ajouté un couvert, et se déclara mis en appétit par le fumet du bouillon de tortue.
     
    – Ottilia vous reviendra bientôt, Simon, dit Carver, apaisant.
     
    – En vérité, ce ne sont pas les outrances d'Ottilia qui m'inquiètent le plus. Elle finira bien par donner de ses nouvelles. Et puis, nous avons d'autres cousins à New York et à Boston, chez qui elle a dû se rendre. Non, ce qui risque de nous causer des ennuis, Edward, ce sont les cinq familles d'esclaves marrons, soit une trentaine de bouches, si l'on compte hommes, femmes et enfants, que le Centaur nous a apportés de Caroline ! révéla Cornfield.
     
    – Je suis au courant, avoua Carver. Ils disent que leur évasion a été organisée par votre fille et sa grosse Alsacienne. Les nègres auraient embarqué de nuit, clandestinement, et ne se seraient découverts qu'au moment où le navire voguait déjà en pleine mer, avança le major.
     
    – Edward ! Vous ne croyez tout de même pas à cette fable ! Un nègre ne peut embarquer en cachette sur le bateau de Rodney. Non. Tout le monde devait être d'accord dans cette affaire, et je ne vais pas demander à Philip Rodney, de qui nous connaissons les sentiments antiesclavagistes, de reconduire les nègres chez leurs maîtres. Ces foutus planteurs leur couperaient les tendons des genoux pour qu'ils ne puissent plus courir. Je les connais, moi, les propriétaires d'esclaves du Sud : ils ne sont pas tendres, et nos cousins non plus, dit Cornfield.
     
    – Toutes les fois qu'il peut tirer un esclave de sa condition, un

Weitere Kostenlose Bücher