Le Pont de Buena Vista
Carolines.
Charles marqua son étonnement en haussant les sourcils, ce qui incita le major à développer.
– Comme beaucoup de vos compatriotes, vous pensez sans doute que la guerre d'Indépendance fit l'unanimité parmi les habitants des treize premières colonies. Eh bien, détrompez-vous, ce ne fut pas le cas ! L'accouchement de la république américaine ne se fit pas sans combats fratricides. Jusqu'au sein d'une même famille, il y eut des conflits entre ceux qui voulaient libérer les treize colonies du joug britannique et ceux qui entendaient demeurer sujets du roi d'Angleterre. Quand commença la révolution, qui devait vite tourner à la guerre d'Indépendance, on passa sous silence le fait qu'il s'agissait aussi d'une guerre civile entre Américains. En effet, les indépendantistes, appelés insurgents par les Anglais, ne durent pas seulement combattre les troupes britanniques, mais aussi les colons opposés à la séparation des colonies d'avec l'Angleterre. On les appelaient Tories ou Loyalists , car ils appartenaient souvent à la classe des conservateurs et des riches propriétaires terriens.
– Pas toujours, intervint vivement lord Simon. Cette définition est un peu légère et même démagogique car, si l'on compta parmi les loyalistes des hommes riches qui devaient souvent leur fortune aux privilèges accordés par la couronne d'Angleterre – ce fut le cas des lords propriétaires des Carolines et des Bahamas, dont mes ancêtres –, on vit aussi dans leurs rangs des gens modestes, marchands au détail, artisans, employés de banque, qui, aux côtés des Indiens recrutés par les Anglais, s'opposèrent aux armées de Washington. Mais les insurgents, pour s'attirer la sympathie du petit peuple, proclamèrent que ces opposants à la liberté des colonies étaient tous des nantis, précisa Simon Leonard avant de rendre la parole au major.
– On a en effet trop vite oublié, reprit ce dernier, que le 26 octobre 1775, soit quelques mois après le premier acte sanglant de rébellion à Lexington, des colons loyaux avaient écrit à George III pour lui signifier leur crainte « d'être dégradés du rang glorieux de citoyens anglais ». À partir du 4 juillet 1776, jour où fut adoptée la Déclaration d'indépendance, tout changea. Pendant un temps, les représentants des loyalistes au Congrès, siégeant à Philadelphie, entravèrent la levée des milices, accaparèrent vivres et fournitures, entretinrent des relations plus ou moins clandestines avec l'état-major anglais. Mais la liberté américaine soutenue par la France – le major s'inclina en direction de Charles – était en marche : rien, comme vous le savez, ne pouvait l'arrêter.
– Les opposants à l'indépendance étaient-ils nombreux ? demanda Charles.
– John Adams a dit qu'un tiers des colons souhaitait l'indépendance des colonies, un tiers était pour le maintien des liens avec la Grande-Bretagne, et un tiers hésitait sur l'attitude à adopter. Par la suite, on reconnut que la majorité des hésitants avaient opté pour l'indépendance, compléta Carver.
– Donc, une proportion non négligeable de fidèles à la Couronne, observa Charles, s'adressant plus particulièrement à lord Simon.
– Proportion variable suivant les colonies. Les loyalistes formaient, à New York et en Pennsylvanie, la moitié de la population. Dans les colonies du Sud, leur nombre était moindre. On a estimé que trente mille colons combattirent avec les troupes anglaises. Victorieux, les fédéralistes ne leur pardonnèrent pas les expéditions meurtrières qu'ils avaient menées dans les Carolines, la Virginie, l'Ohio et le Wyoming. À New York, alors aux mains des insurgés, les loyalistes avaient formé des compagnies de volontaires royaux et semaient l'agitation dans le peuple. Ils menacèrent même, un moment, la vie de Washington, contraint, en 1780, d'évacuer New York et de se retirer avec ses hommes dans le New Jersey, tandis que le général anglais Henry Clinton s'installait à Manhattan. Constitués en bandes de partisans, les loyalistes s'en prenaient partout aux sympathisants de Washington. En Caroline, ils trouvèrent même des alliés dans les pirates des Bahamas qui pillaient, pour leur propre compte, bien sûr, les navires de la future Union et ravageaient les côtes de la Nouvelle-Angleterre, développa Simon Leonard.
– Ces pirates si chers aux Cornfield ! ironisa
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