Le poursuivant d'amour
dissipa la mélancolie de Tristan. Sang-Dieu ! Il n’allait pas s’apitoyer sur son sort. Il devait s’asseoir aussi bien sur son orgueil que sur le plancher de cette litière, jonché de coussinets aux couleurs de sa femme : le sinople et le vermillon.
– Holà ! Vous autres, cria Mathilde à ses hommes d’armes. Qu’attendez-vous ? Deux devant, deux derrière… Et vous, mon cher époux, montez là, le premier.
Il obéit, devinant derrière lui des sourires de connivence que Mathilde peut-être arrêtait d’un clin d’œil faussement sévère. Bientôt, face à lui, installée sur un banc d’où elle le dominait, elle savoura sa victoire :
– Tu es mien désormais !
– Suis-je votre mari ou votre prisonnier ?
« Bon sang ! » enragea-t-il. « Perrette Darnichot m’avait pris dans ses rets. Voilà que cela recommence. Qu’ont-elles dans la peau, ces pernicieuses-là ? »
– Prisonnier, roucoula Mathilde. Mesure tes propos… Où te vois-tu des chaînes ?… Tu es libre… Libre de m’aimer !
C’était bien là, pour lui, la pire des franchises.
– Je serai plein de bonne volonté.
– De bonne volupté, veux-tu dire.
Il se sentit amoindri dans l’admiration de Mathilde, en état d’infériorité insurmontable devant elle. D’aucuns s’y fussent résignés, ne voyant dans cet abaissement que les avantages de fêtes sensuelles amplement renouvelées mais qui ne pouvaient composer l’essentiel de la vie d’un couple. À brève échéance, l’équilibre de leurs relations, déjà instable, craquerait. D’ailleurs ils s’observaient moins comme des époux – sinon des amis ou complices – que comme des adversaires… Mais peut-être n’était-ce qu’une impression perçue par lui seul, et l’expression tendue, les sourcils froncés de Mathilde ne révélaient-ils qu’une méditation dont il était exclu… Non pas : il avait une main – la dextre – sous sa robe, tout près de la cheville que le balancement de la litière, enfin partie, rapprochait sans qu’il eut malice.
Il en fut troublé. Comme il ne remuait pas, elle agrafa délibérément sa troussoire 22 à la hauteur des genoux, découvrant ainsi deux demi-jambes nues.
Elle se délectait à le solliciter. « Une pute ! » Il avait éprouvé lui-même, souventefois, cette appétition qu’enfiévrait Mathilde et la parcourait de frissons. Il l’avait assouvie avec Oriabel sans jamais connaître la satiété. Il se dit : « Touche-la », mais une curiosité âcre et morose le contraignit à atermoyer :
« Laisse-la faire puisqu’il semble qu’elle ait toutes les audaces. »
Le genou révélé forçait l’attouchement. Il y posa sa main après avoir, d’un seul jet, abandonné la cheville. La jambe libre s’écarta, ouvrant la voie aux investigations plus hardies.
Eh bien, non ; c’était trop aisé !
La poitrine qui tendait le cendal de la robe, pointait sous la cartisane 23 en deux bossettes incarnates.
– Si je tirais les mantelets 24 deviendrais-tu plus hardi ? Cette litière nous secoue… Si tu le souhaites, nous pourrions, nus, tressaillir davantage. Veux-tu que je me déshabille ?
Les yeux de Mathilde prenaient l’éclat des diamants.
S’il acquiesçait à son offre, elle aurait assurément l’audace de se dénuder dans cette rue même dont la pénombre et le silence ajoutaient à ses hésitations de mâle mis à quia 25 leur poids d’expectative et de mystère.
– À votre aisément, dit-il enfin. Il est vrai que nous sommes enveloppés de nuit.
La clarté de ce jour de grand soleil, retenue de degré en degré par les encorbellements des maisons, n’atteignait pas les pavés gras où les chevaux, parfois, glissaient, imprimant à la nacelle dont les bois grinçaient un roulis désagréable. Une puanteur complexe – pourriture et nourriture – suintait des baies entrebâillées des échoppes, des porches, et montait des ruisseaux. Tristan entendit soudain des rires d’hommes et de femmes si faux et pointus qu’ils n’exprimaient aucune joie mais plutôt une inaltérable maussaderie. Penché, sans souci de déplaire à son épouse, il vit deux manants surgir d’un seuil ; hilares ils se congratulaient tout en assujettissant leurs hauts-de-chausses.
– Ah ! La Berthe, s’exclama le plus âgé. Je l’ai foutie deux fois !
Mathilde eut un sourire assorti d’un soupir :
– C’est la rue des bordeaux. Elle accourcit notre chemin… À
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