Le poursuivant d'amour
loi certes non écrite mais qui n’a jamais été transgressée. La fougueuse baronne s’est éprise de Tristan à Brignais où, prisonnière elle aussi des routiers, le condamné lui avait porté secours.
La grâce est accordée à la grande fureur de Salbris. Veuve déjà deux fois, Mathilde va pouvoir convoler sans délai avec son idole.
À peine a-t-il quitté la charrette infamante que la bienfaitrice providentielle entraine Tristan chez elle. Il sait que pour cette hystérique il ne sera jamais rien d’autre qu’une espèce d’otage voué à des obligations très particulières.
PREMIÈRE PARTIE
LE PRISONNIER DE MONTAIGNY
I
Elle entrouvrit la porte de la chambre. Comprenant qu’il était éveillé, bien qu’il se fût hâté de clore les paupières, elle s’avança vers lui d’un pas impétueux :
– Vous avez le sommeil lourd, messire mon fiancé. Savez-vous que nous sommes vendredi (399) et qu’il est près de none ?… Eh bien, Tristan ! Êtes-vous vraiment mal ?… Ah ! Vous daignez enfin me regarder.
Comment faire autrement ? L’allure déterminée, mi-hautaine mi-dansante de Mathilde de Montaigny ne différait point de celle des femmes entrevues à la Cour, du temps où son existence de chevalier oisif lui paraissait tellement fade et lénitive qu’il envisageait de revenir en son pays.
– Parlez, Tristan de Castelreng !… Par ma foi, à défaut de dormir, vous me semblez en plein songe.
– Je suis toujours en grand état de lassitude.
Ses forces s’en étaient allées avec son sang, mais c’était de l’esprit qu’il se sentait malade. Une longue chaîne de malaventures et l’angoisse d’une atroce bataille en avaient préjudicié la fermeté. Dans sa mémoire enténébrée de souvenirs désagréables, deux visages étincelaient comme des étoiles. Or, pas plus qu’il ne pouvait atteindre celles-ci, il ne pourrait approcher Oriabel et Tiercelet. Cette évidence-là lui labourait le cœur.
– À qui donc pensez-vous ?… Parlez… Je vous en prie.
C’était moins une prière lestée de compassion qu’un commandement suave. Cette fois, résolument, il mentit :
– Je vous suis reconnaissant. Voilà ce que je pensais… Sans vous…
– Ne craignez surtout pas de m’appeler Mathilde.
– Sans vous, je serais devenu un petit tas de cendres mêlé à celui des fagots consumés… Des cendres qui se seraient froidies et dissoutes dans les eaux du Rhône… parmi celles des autres prisonniers… Que Dieu leur pardonne…
Dame Mathilde s’assit au pied du lit. Légèrement inclinée, elle considéra son « fiancé » de ce regard avide et triomphant qui déjà lui avait donné du mésaise.
– Je vous sais bon gré de paroler ainsi… N’oubliez jamais, Tristan, que vous vivez en état de grâce. Suis-je…
Comme elle s’interrompait, il s’attendit à ce qu’elle insistât : « Suis-je claire ? » mais elle ajouta fermement :
– Suis-je belle ?
Elle l’était d’autant mieux que sa féminité rayonnait de ses derniers feux.
– Vous êtes belle, dit-il, sincère.
Les années n’avaient point durci ou strié ses traits de rimules désagréables. Au contraire, elles les avaient polis, satinés. Le velouté de sa peau de brune était d’une rareté dont elle pouvait s’enorgueillir, et la langueur soudaine de son regard, à l’ombre de ses longs cils, ajoutait quelques gouttes de mystère à son charme. Cependant, quelque désirable qu’elle fut, comment ne s’en serait-il pas défié ? Il la connaissait sous d’autres aspects. Pour le sauver du bûcher, elle avait provoqué, supplié, effaré sinon scandalisé la noblesse, l’Église, là bourgeoisie et les manants de Lyon. Il la devinait capable de tout. En elle, le meilleur cédait devant le pire.
– Il est vrai, reconnut-elle, que les émois et les fatigues ne vous ont jamais manqué… Non, non !… Ne bougez pas. Laissez-moi faire…
Du plat de la main, elle lui attoucha le front avec une sorte de délectation vive. Il sentit sa chair égratignée par le chaton d’une bague portée à-contre, et se demanda si cette étrangeté était intentionnelle. La plupart des gemmes de la terre semblaient réunies sur les doigts fins et roses à raison de deux et même trois : turquoise, grenat, saphir, hyacinthe, améthyste. À chaque pouce rutilait un rubis aussi gros qu’une noisette. Bien qu’elles eussent été nues
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