Le Pré-aux-Clercs
si elle avait oublié les amis turbulents du vicomte de Ferrière, ils ne l’avaient pas oubliée, eux. Ils le firent bien voir. Ils protestèrent hautement.
« Comment Fiorinda, tu t’en vas ?…
– Et nous ?…
– C’est une trahison ! »
Ils paraissaient plus ivres, plus excités que précédemment. Elle cherchait une défaite polie pour se débarrasser d’eux. Elle n’eut pas le temps de parler. Ils se précipitèrent tous ensemble et l’entourèrent. Leur résister était impossible. Elle se résigna, d’assez bonne grâce, à les suivre.
« Allons, messeigneurs, montrez vos mains. La diseuse de bonne aventure vous dévoilera votre avenir. »
Un instant, elle put croire qu’ils allaient accepter et qu’elle serait libre ensuite. Il n’en fut rien. Un de la bande, qui répondait au nom de Saint-Solin, s’écria :
« Au diable l’avenir !… Le présent seul m’intéresse… Et ce que je veux, présentement, ce sont tes baisers, la belle !… Combien les vends-tu ?… Parle, fais ton prix… Ma bourse est bien garnie, comme tu peux le voir, et je ne suis pas homme à marchander. »
En disant ces mots, il agitait devant elle, en un geste insultant une bourse qui, en effet, était d’apparence respectable.
Saint-Solin devait avoir traduit ainsi, tout haut, l’arrière-pensée de ses compagnons, car ils approuvèrent bruyamment et se hâtèrent de renchérir.
Ferrière était devenu de glace. Il ne dit pas un mot, ne fit pas un geste. Seulement, il jeta sur eux un long regard chargé de mépris. Puis ce regard, comme invinciblement attiré par un aimant, revint se fixer sur la jeune fille et il attendit sa réponse, avec, eût-on dit, comme une sourde anxiété.
Sous l’inqualifiable outrage, elle avait pâli. Ses beaux yeux noirs eurent une lueur de révolte indignée. Et, redressée dans une attitude de souveraine dignité, élevant la voix de manière à être entendue de tous :
« Allons, messieurs, dit-elle, cessez ce jeu… Laissez-moi aller… Et je vous promets d’effacer de ma mémoire le souvenir de ces grossièretés indignes de gentilshommes. »
Sur la salle, le silence plana soudain. Tous les yeux se fixèrent sur le groupe devenu le centre de l’attention générale.
Au fond, le jeune comte de Louve marqua son intention en assujettissant le ceinturon d’un geste vif. Et, très attentif, il attendit en fixant obstinément sur les insulteurs ce regard hautain, glacial, qu’il avait eu déjà une fois pour eux.
À gauche, le chevalier de Beaurevers fronça le sourcil, et caressa d’un geste nerveux la poignée de son immense rapière. Ce que voyant, les quatre, qui suivaient tous ses mouvements, se tinrent prêts à dégainer.
À droite, une fois encore, le baron de Rospignac avait failli s’élancer. Un coup d’œil lancé sur le comte de Louvre l’avait cloué sur place, en lui rappelant que, suivant son propre mot : Il était de service. Et il faut croire que la mission dont il était chargé était particulièrement grave, car, de la contrainte qu’il s’imposait, la sueur ruisselait sur son visage. Ce que Guillaume Pentecôte observait de son air goguenard.
Enfin, le vicomte de Ferrière avait admiré en homme qui s’y connaît.
« Par la chair de Dieu ! on dirait une reine accordant une grâce ! »
Et il eut le même geste que Beaurevers : sa main se crispa sur la poignée de son épée.
Les jeunes gens qui entouraient Fiorinda eurent l’intuition vague du mauvais rôle qu’ils jouaient. Peut-être eussent-ils reculé. Il en était temps encore. Malheureusement, malgré leur ivresse, ils sentirent peser sur eux l’attention générale. Ils voulurent la braver. Ils accueillirent donc les paroles de la jeune fille par des ricanements, et dévoilèrent leur pensée intime par une suite d’exclamations qui se fondirent en une unique clameur :
« Non, pardieu ! Nous te tenons, nous te gardons !
– Tu nous excèdes avec ton insupportable vertu !
– Il faut en finir une bonne fois.
– Parfandieu, c’est bien de l’honneur que nous faisons à une coureuse des rues telle que toi !
– De gré ou de force, nous aurons tes baisers ! »
Ils la bousculèrent. Saint-Solin abattit sa poigne sur son épaule et voulut l’embrasser de force.
Elle se dégagea d’une brusque saccade et cingla :
« Vous êtes cinq hommes et vous violentez une femme !… N’y a-t-il donc pas un seul gentilhomme parmi vous ? »
Et
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