Le Pré-aux-Clercs
gâte !… Je ne voudrais pas être dans la peau du damoiseau ! Son compte est bon, à celui-là ! »
Et considérant plus attentivement celui que son maître venait d’appeler le comte de Louvre, tout haut :
« Ne trouvez-vous pas, monsieur, que ce damoiseau ressemble à quelqu’un que nous connaissons ?… Où diable l’avons-nous vu ? »
Ces paroles parurent calmer subitement Rospignac. Il reprit son air calme, ses attitudes élégantes. Et, plongeant son regard acéré dans les yeux de Guillaume Pentecôte, il interrompit d’une voix tranchante, sur un ton glacial :
« Ne cherche pas !… Surtout ne te mêle pas de ce qui ne te regarde pas !… Tiens-toi prêt, plutôt ! »
Pendant ce temps, Fiorinda proposait de son air le plus engageant :
« Désirez-vous, mon gentilhomme, que je soulève le coin du voile mystérieux qui couvre votre avenir ? »
Très amusé, le comte de Louvre accepta sans hésiter :
« Un avenir dévoilé par d’aussi jolies lèvres que les vôtres, ma belle enfant, ne saurait être qu’un avenir riant et rose. Je n’aurai garde de manquer une si belle occasion.
– Donnez-moi votre main, mon gentilhomme, dit-elle. Pas celle-ci… La gauche : la main du cœur.
– Voilà », fit-il en riant de plus belle.
Et il tendit une main d’enfant, admirablement soignée.
Au moment où elle allait jeter les yeux sur les lignes de cette main, des voix crièrent :
« Viens ici, Fiorinda ! »
L’appel était plus que cavalier. Les voix qui le proféraient, impérieuses, insolentes. Le comte de Louvre fronça le sourcil et fixa sur ceux qui l’avaient lancé un œil hautain, qui se fit soudain d’une froideur glaciale.
Elle tourna légèrement la tête de ce côté, d’un air de suprême dédain.
L’appel partait d’un groupe de jeunes gens qui occupaient trois tables mises bout à bout, au centre de la salle.
Ils étaient tous très jeunes – de vingt à vingt-cinq ans. Tous riches : la splendeur des costumes et la folle dépense qu’ils faisaient en témoignaient hautement. Tous, à n’en pas douter, d’illustres maisons. Tous, enfin, plus ivres les uns que les autres, et menant, à eux six, plus de bruit que tous les autres consommateurs réunis.
Tous, moins un, cependant. Celui-là était un gentilhomme de vingt à vingt-deux ans : figure fine, aristocratique, air doux, réservé, presque timide. Un type accompli de grand seigneur.
Fiorinda observa que celui-là seul avait gardé tout son sang-froid. Sa contenance digne, volontairement effacée, contrastait singulièrement avec l’attitude des jeunes fous, au milieu desquels il semblait qu’il fût comme ennuyé de se trouver.
Les acclamations de ses compagnons avaient attiré son attention sur la jeune fille. Il était clair qu’il la voyait pour la première fois lorsque ses yeux – qu’il avait très beaux – se posèrent sur elle avec seulement un peu de curiosité. Et ses yeux clignotèrent comme éblouis, trahirent l’ardente admiration qui se levait en lui. Et à partir de ce moment il lui fut impossible de détacher ses yeux de la radieuse apparition, qu’il suivait dans toutes ses évolutions.
Cependant, Fiorinda répondit avec une certaine froideur plutôt rare chez elle :
« Tout à l’heure, messeigneurs !… Vous voyez bien que je suis occupée. »
La raison n’était pas suffisante pour des seigneurs pénétrés de leur importance, comme semblaient l’être ceux-là. Ils dévisagèrent le comte de Louvre. Son grand air leur en imposa sans doute, car ils se contentèrent de dire :
« Dépêche-toi, Fiorinda… Le vicomte de Ferrière veut faire ta connaissance…
« Conçoit-on cela ! Le gentilhomme le plus accompli de la cour, qui ne connaît pas la Fiorinda !… C’est inouï ! Extravagant ! Inconcevable ! Incroyable ! »
Ils braillaient cela à tue-tête, sans se soucier le moins du monde des assistants qui ne semblaient pas exister pour eux ! Elle ne put s’empêcher de rire. Elle eut un coup d’œil malicieux à l’adresse de celui dont on lui révélait – ainsi qu’à tout le monde – le nom et le titre, et lui adressant un sourire, elle promit évasivement :
« Votre tour viendra, monsieur le vicomte de Ferrière. »
Le vicomte, étrangement troublé par ce sourire qui, manifestement, s’adressait à lui seul, y répondit par un salut profond et gracieux. Ses compagnons prirent ce sourire pour eux. Et satisfaits, ils
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