Le Prince Que Voilà
puisque
tu le connais ?
— Mais justement, je le
connais, dit Mosca. Villequier aurait, de prime, averti la Reine-mère et
celle-là, pour se couvrir, le Roi. Après quoi, la Reine-mère et Villequier
eussent persuadé le Roi que j’étais payé par les huguenots et que tout mon
rapport n’était que fable et fallace. J’eusse alors risqué des mains du Roi la
hart, ou d’être occis par les ligueux, si Villequier, en sous-main, m’avait à
eux dénoncé.
— Mon pauvre Mosca, dis-je avec
un sourire, à ce que je vois, ni d’un côtel ni de l’autre il n’est facile de
trahir ! Par bonne fortune, je suis là ! Là, devant toi ! Et
l’ouïe tout ouverte ! Tu pourras donc ta conscience soulager et ton cœur
conforter à plein. Parle, mon bon maître Mosca ! Parle sans tant
languir !
— Cependant, Monsieur le
Chevalier, dit Mosca, voilà votre valet avec une écritoire…
— Vous voyez mal, Monsieur le
Lieutenant, dit Miroul avec hautesse : celui que vous envisagez, assis à
cette table, est le secrétaire de M. de Siorac.
— Monsieur le Chevalier, reprit
Mosca non sans indignation, si c’est une déposition que l’on veut prendre, vos
épées ne me la feront pas signer ! Il faudrait beau voir que le lieutenant
de la prévôté s’incrimine et s’inculpe de soi !
— Apaisez-vous, monsieur Mosca,
dis-je avec un souris, il n’est question que de notes, votre nom naturel n’y
sera pas mentionné.
— S’il en est ainsi, dit Mosca,
relevant la crête, comme il faut, par prudence, un peu de variété dans les noms
supposés, ne me surnommez pas en ces notes Mosca la mouche, mais Leo le Lion.
— L e o, dis-je, puisque lion il y a, rugis-moi un beau récit et je serai content.
— Monsieur le Chevalier, dit
Mosca, il n’y a pas à rugir, mais à gémir, tant les temps sont troubles et le
sang de l’homme menacé (et, il se peut, le mien aussi). Mais pour aller au plus
bref, voici : Le 2 janvier, Maître Leclerc, procureur à la Cour du
Parlement et Georges Michelet, sergent à verge au Châtelet de Paris, bonnes
gens avec qui j’avais ces vingt ans passés fréquenté, me vinrent trouver en mon
logis et me firent entendre qu’il se présentait une belle occasion de me mettre
fort à mon aise en m’étoffant, si je voulais, d’une bonne somme de deniers.
— Sagesse, dit Giacomi en
italien, de parler à coquin selon sa coquinerie.
— Et, poursuivit Mosca, de
gagner, en outre, la faveur de fort grands seigneurs, lesquels pourraient
pourvoir à mon avancement, pour peu que je leur fusse fidèle en ce qui me
serait par eux donné à exécuter, qui n’était, de reste, que pour la
conservation de la foi catholique, apostolique et romaine.
— Qui ne voudrait à telle noble
fin concourir ? dit Giacomi.
— Raison pour quoi, dit Mosca,
je jurai d’entrer en leur Ligue qu’ils appelaient la Sainte Ligue, et le 3 du
même mois, je fus au logis de Maître Leclerc où j’encontrai, avec plusieurs
autres du même parti, le seigneur de Maineville à nous par le Duc de Guise
envoyé, pour éclairer nos entreprises, lequel nous dit que la religion catholique
était perdue, si on n’y mettait bon ordre, et qu’il y avait plus de dix mille
huguenots cachés au Faubourg Saint-Germain, lesquels, le moment venu, feraient
une Saint-Barthélemy des catholiques pour faire tenir la couronne au Roi de
Navarre.
— Et l’avez-vous cru,
Mosca ? dis-je en levant le sourcil.
— Monsieur, dit Mosca, je suis
lieutenant de la prévôté de l’Île-de-France, et bien sais-je que ne se cachent
dans les bouges et les bauges du Faubourg Saint-Germain que des pesteux, des
ladres, des coupe-bourses, des caïmans et des ribaudes.
— Vous n’y avez pas cependant
contredit ? dis-je.
— Monsieur le Chevalier, qui
suis-je pour oser contredire le Duc de Guise contre lequel le plus grand en ce
royaume n’ose parler ? De reste, le seigneur de Maineville, car c’est lui
qui parle et non pas moi, nous dit aussi que le Roi qui va en monastère et
singe les pénitents, a osé, en sa traîtrise, faire tenir deux cent mille écus à
Navarre pour qu’il fît, en sous-main, la guerre aux catholiques.
— L’avez-vous cru ?
— Monsieur le Chevalier, dit
Mosca avec une certaine sorte de rampante hautesse, ce que je crois ou décrois
est affaire à ma conscience.
— Et à votre cœur, dit Giacomi.
— Et avez-vous cru, dis-je en
l’envisageant œil à œil, que j’avais été
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