Le Prince Que Voilà
manifeste que Paris, pratiquée par tant de
violents ligueux, et en outre par les prêcheries des prêtres, était jà perdue
pour le Roi. Sentiment que voulant cacher à mon Poulain en qui j’avais autant de
fiance qu’en le croc d’une vipère, je lui demandai à quoi tendaient ces amas
d’armes, ces pratiques, ces secrets conciliabules, où ne se méditait que le
sang des Français.
— Mais, dit Mosca, rien moins
que la prise de Paris par la Sainte Ligue ! Et la saisie du Roi en son
Louvre, après le massacre de ses conseillers, de ses officiers, de ses mignons,
des principaux du Parlement, des « Politiques » et de toute noblesse
qui lui voudrait porter secours. Les plans sont faits ! La poudre est prête !
Il n’y manque que l’étincelle, laquelle viendra des deux côtels : l’armée
que rassemble Guise et l’armée espagnole.
— Pour celle-ci, dis-je avec un
souris, et comme en me gaussant, il lui faudra de prime franchir les
Pyrénées !
— Nenni, Monsieur ! dit
Mosca comme piqué de mon ton, cela ne sera pas nécessaire. La Ligue est dans
l’intention de se saisir sous peu de Boulogne, et de livrer le port à
Philippe II pour que son armée y aborde.
Je vis bien que Mosca se mordait la
lèvre pour avoir parlé trop vite, et fort ému de ce complot sur Boulogne, et de
l’inouïe conséquence de sa réussite, si elle ne faillait, je pressai Mosca de
tant de cajoleries et de menaces qu’à la fin il me dévida toute l’affaire.
— C’est, dit-il, en la maison
des jésuites, ces deux jours écoulés, que cette embûche fut envisagée, vu
qu’ils savaient que le prévôt Vétus, lequel ils avaient pratiqué, était
accoutumé d’aller de trois mois en trois mois en Boulogne, et qu’y allant, il
pourrait, avec cinquante bons soldats, que sous couleur d’escorte on lui
baillerait, se saisir d’une des portes de la ville, et ayant fait, la livrer au
Duc d’Aumale, cousin des Guise, qui aurait des forces dans les alentours.
Je fus tant effrayé pour le Roi de
cette entreprise que je dormis fort peu, quand Mosca nous eut quittés avec
promesse de me revenir voir dès que je le ferais mander, pour ce que je voyais
bien quelle menace d’invasion la prise et livraison de Boulogne feraient
courir, non point seulement au royaume de France, mais même à la Reine
Elizabeth, laquelle était notre naturelle alliée contre les menées papistes et
guisardes, et s’encontrait tout aussi menacée que nous par cette saisie,
machinée, à ce que je m’avisai tout soudain, par des jésuites introduits en la
Ligue, et dont je savais le zèle passionné pour la reconquête de l’Angleterre.
Je pus voir le Roi dès son lever, et
en entrant en sa ruelle sous le prétexte de lui prendre le pouls, je lui remis
mon mémoire en lui disant à l’oreille qu’il contenait chose urgente et
conséquente. À quoi me répondant qu’il le lirait dès qu’il aurait en sa
chapelle récité ses prières, et conféré avec l’ambassadeur d’Angleterre qui
avait quis de lui une audience à la première heure, il me pria, avec sa
coutumière politesse, d’attendre en l’antichambre qu’il me fit rappeler.
Cependant, à peine eus-je sailli
hors que je fus saisi par le bras, mais cette fois de façon tout amicale par
Laugnac de Montpezat, lequel me fit de grandes excusations de m’avoir arrêté et
fouillé l’avant-veille à la porte du Roi avec cinq de ses quarante-cinq, disant qu’il n’avait point l’honneur de connaître ma face, pour ce que, au
moment où lui-même était arrivé en la Cour, je partais avec le Duc d’Épernon en
Guyenne et à mon retour tout soudain en une longue retraite sur mes terres. Il
dit « retraite » et non « exil » avec un fin sourire qui me
donna à penser qu’il me voulait tirer les vermes du nez, et sachant bien qu’en
ces occasions, la parole vaut mieux que le silence, je me retranchai derrière
mon amabilité périgordine, laquelle valait bien la gentillesse gasconne dont il
faisait parade, tant est que nous fûmes l’un avec l’autre tout miel et tout
sourire, cependant que nous nous observions œil à œil, et moi n’aimant guère ce
que je voyais, non que Laugnac ne fût pas un fort beau et fort grand gentilhomme
qui tenait quasi du Sarrasin par la peau, la barbe et la prunelle, mais avec je
ne sais quel forcené appétit en sa face qui ne me plaisait point tout à plein.
Comme nous conversions apparut my
Lord Stafford qui se rendait chez le
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