Le Prisonnier de Trafalgar
pourrai. La marée montante devrait t’aider.
— Entendu, Joshe-Mari, mais ne cours pas de risques pour moi.
— C’est toi qui vas en courir.
Feignant une fausse manœuvre, Joshe-Mari fit hisser la voile au plus haut et agit comme si la poulie de vergue était bloquée. Prenant le vent grand largue, la Maritchu dépassa l’entrée du port. La gîte s’accentua et la pinasse embarqua de gros paquets de mer.
Le lougre de tête s’inquiéta. Il hissa deux pavillons et souligna son signal d’un coup de canon à blanc. Joshe-Mari fit aussitôt monter au mât un chiffon surmonté d’un panier, ce qui constituait un message de détresse compris par tous les gens de mer.
Sous le vent violent, la Maritchu devait filer huit ou neuf nœuds. La côte se rapprocha. Derrière les rouleaux d’écume, Hazembat vit de gros rochers noirs sur lesquels les lames s’écrasaient en grands jaillissements.
Changeant péniblement de bord, le lougre avait pris une route parallèle à celle de la Maritchu, deux encablures plus au large, mais il avait un retard considérable.
— Je vais m’approcher au plus près, dit Joshe-Mari, et je ferai semblant de reprendre le contrôle. Je virerai au vent et tu sauteras à ce moment-là par tribord. La coque te masquera.
Les minutes s’écoulèrent, interminables.
— Maintenant ! dit Joshe-Mari.
Comme désemparée, la pinasse se laissa porter vers la côte. La prenant par le travers, les rouleaux des brisants la faisaient rouler violemment dans un grondement de tonnerre. Plusieurs fois, elle parut sur le point de chavirer.
— Attention ! cria Joshe-Mari. A réduire la voile ! La barre dessous !
Un instant, Hazembat crut qu’il était trop tard, mais, peu à peu, l’avant de l’embarcation pivota vers le large. Le roulis s’atténua légèrement.
— Tu vois ce rocher pointu ? Garde-le à ta gauche ! Vas-y ! Agur, Bernard !
Comparée à la gifle glaciale du vent sur les vêtements trempés d’embruns, l’eau lui parut presque tiède. Son sac arrimé sur son dos, il tenta une brasse maladroite, mais, tout aussitôt, une montagne d’écume s’abattit sur lui, suivie d’un creux si profond que ses pieds touchèrent des galets.
Il ne savait plus du tout où il était. Au ras de l’eau, les repères avaient disparu. Un ressac violent l’entraîna au large, puis il se retourna sous l’eau, à demi assommé, le souffle coupé, les oreilles douloureuses. Il se débattit et parvint à émerger à la crête de la vague. Tout près sur sa gauche, le rocher pointu surgit dans un éclatement blanc. Il nagea frénétiquement pour s’en éloigner et soudain se trouva à plat ventre sur le sable. Derrière lui, un nouveau rouleau déferlait en grondant. Il se mit sur pied et tenta de courir. Le brisant croula juste derrière lui et il eut de l’eau jusqu’à la ceinture. Il s’arc-bouta des pieds et des mains dans le sable qui fuyait, pour résister au ressac.
Glacé par le vent violent, il rampa jusqu’à sentir le sable sec sous son ventre. A quelques toises de lui, un trou dans le rocher formait une sorte de grotte, creusée sans doute par les grandes marées. Il alla s’y nicher en grelottant et ramassa du varech autour de lui pour s’en faire une couverture.
Alors seulement il songea qu’il était de retour en France. Il soupira d’aise et s’endormit.
CHAPITRE XIII : LES RETROUVAILLES
L’avant-poste français était à la lisière d’un bois de pins, un peu en arrière de la côte. Hazembat s’identifia comme prisonnier de guerre évadé. La chose devait être assez courante, car le sergent prit son arrivée comme une affaire de routine.
— Tu suis le sentier de droite, dit-il, et tu vas te présenter au poste de commandement. C’est la première maison.
Le village était habité et, n’eût été des gabions qui en défendaient l’accès, on n’aurait pu imaginer que le pays était en guerre. Dans une salle de ferme où brûlait un grand feu dont Hazembat s’approcha le plus qu’il put afin de sécher ses vêtements détrempés, un vieux lieutenant l’interrogea brièvement.
— Marin ? dit-il. Tu pourras être utile sur l’Adour. Quand tu seras à Bayonne, présente-toi au commandement de la marine.
Ils étaient une vingtaine de rescapés comme lui, qui partirent en cortège vers la place forte distante de quelque deux lieues. Des troupes bivouaquaient çà
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