Le Prisonnier de Trafalgar
dans une demi-conscience, d’une main qui lui soulevait la tête et d’une écuelle qu’on portait à ses lèvres.
— Merci, Juanita. Où suis-je, ici ?
— Dans ma ferme, à une demi-lieue de Villano. Le col d’Orduna est à trois lieues. Ensuite, c’est la Biscaye.
— La Biscaye, c’est le Pays basque ?
— Oui, les Vascongadas.
— Il y a des Français par ici ?
— Nous sommes trop à l’écart pour qu’ils montent jusqu’à la ferme, mais il en passe sur le chemin. On dit qu’ils concentrent des troupes autour de Vitoria.
Hazembat se représenta la carte : Vitoria et les Français à l’est, Bilbao et les Anglais au nord. Il faudrait passer entre les deux.
— Comment puis-je atteindre la mer ?
— Facile. Tu gagnes le col d’Orduna, tu descends dans la vallée du Nervion et tu en as pour quelques jours de marche jusqu’à Bilbao ou un des ports de la côte.
— Quels ports ? José éclata de rire.
— Je n’y suis jamais allé, hombre ! Il y a juste quelques noms que je connais : Ondarroa, Lequeitio, Bermeo…
— Tu as dit Bermeo ?
Une idée se faisait jour dans son esprit. Déjà une fois, seize ans plus tôt, il était allé à Bermeo et il avait séjourné non loin de là chez le curé Don Gorka à la ermita de San Pelayo. De Bermeo, une barque de pêche pouvait gagner la France en quelques heures.
Pris d’une soudaine impatience, il s’assit sur le lit.
— J’y vais !
Le visage inquiet, Juanita se précipita et l’obligea doucement à se recoucher. Hochant la tête, José rit encore.
— Dans l’état où tu es, tu ne ferais pas dix pas. J’ai bien peur que tu ne doives accepter notre hospitalité un bout de temps.
Il fallait se rendre à l’évidence. La plaie de l’épaule avait légèrement suppuré et était encore loin d’être refermée. Il en sentait la douleur dans le bras. De plus, non seulement son bras, mais tout son corps étaient devenus d’une maigreur effrayante. Les muscles avaient fondu et la peau s’était fripée, prenant une teinte terreuse.
Il lui fallut tout le mois de mai pour se remettre d’aplomb. Il passait ses journées à raconter des histoires de mer aux enfants de José et de Juanita qui avaient de cinq à dix ans, et à leur montrer comment faire des nœuds de marin. Bientôt, il put aider aux menus travaux de la ferme. La nourriture était peu variée, mais suffisante et saine : polenta de seigle et fromage. Ses muscles retrouvés, au début de juin, il aida José à moissonner les premiers fourrages. Il ne savait pas très bien manier la faucille, mais il apprit vite à faner, à lier les bottes de foin et à les entasser en meules. Il prenait plaisir à ce travail et surtout il éprouvait un réel bonheur à partager la vie rude et tranquille de ses hôtes. Mais, à mesure qu’il se sentait redevenir plus solide, l’envie de revoir la mer montait dans son cœur, plus forte même que la nostalgie de la France et de Langon.
Un jour, José, qui était allé jusqu’au bourg de Villano, revint avec une grande nouvelle :
— Les Anglais ont chassé les Français de Vitoria. C’est tout juste s’ils n’ont pas pris le roi franchute au piège ! Maintenant, tu n’as plus de mauvaises rencontres à craindre !
Il y avait les Anglais, bien sûr, mais il était peu probable que la marine britannique se souciât encore de lui et le fît rechercher si loin à l’est. Il annonça qu’il partirait dès le lendemain. Juanita emplit son sac de victuailles, les enfants lui sautèrent au cou en pleurant et José lui donna l’ abrazo. En les voyant ainsi confiants, cordiaux, amicaux, Hazembat s’en voulut de leur avoir menti.
— Il faut que je vous avoue une chose, dit-il. Je ne suis pas galicien, je suis français.
Une fois de plus, José éclata de son rire joyeux.
— Nous le savions depuis le début, amigo. Tu l’avais dit dans ton délire les premiers jours. Tu es français, mais tu n’es pas un de ces soldats qui sont venus chez nous en conquérants. Tu étais un homme dans le besoin et nous t’avons secouru de notre mieux. Va con Dios, hermano !
Les chemins de Biscaye étaient encombrés de troupes anglaises qui faisaient mouvement vers l’est. Hazembat n’attirait pas l’attention, mais il jugea plus prudent de faire un détour par la montagne. Les vivres de Juanita suffisaient à le soutenir et l’eau ne
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