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Le Prisonnier de Trafalgar

Le Prisonnier de Trafalgar

Titel: Le Prisonnier de Trafalgar Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Escarpit
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la Sappho à un mille de distance. Aussitôt, les cotres s’avancèrent vers la rive gauche et ouvrirent le feu.  
    C’était un duel un peu à l’aveuglette. Les canons anglais tiraient à limite de portée et les cotres ripostaient sur des positions de batteries qu’ils ne voyaient pas. Vers midi, des Anglais apparurent sur la crête de la dune et commencèrent à ériger d’étranges bâtis. D’autres dressaient un mât à l’emplacement de l’ancienne balise. La Sappho et les cotres concentrèrent leur feu sur eux.  
    Soudain, vers deux heures, un nuage de fumée blanche jaillit au sommet de la dune et, en une longue traînée, se dirigea droit sur la flottille. Quelque chose passa dans l’air à grande vitesse avec un souffle rauque et puissant qui ne ressemblait pas au gémissement suraigu des boulets de canon. Une explosion à couper l’haleine se produisit entre les cotres et la corvette. L’instant d’après, une autre traînée blanche, puis une autre, puis une autre convergèrent vers les embarcations. Frappée de plein fouet, une d’entre elles prit feu. Les hommes se jetèrent à l’eau, hurlant de terreur.  
    Sur les autres, la panique commençait à gagner les équipages.  
    — Qu’est-ce que c’est que cette hildepute d’arme de merde ? demanda Bordes.  
    — Je crois que j’en ai entendu parler, répondit Hazembat. Les Anglais appellent ça des rockets. Ce sont des fusées comme celles que nous employons pour les signaux, mais beaucoup plus grosses. C’est un nommé Congreve qui les a inventées.  
    Au rythme de quatre par minute, les fusées harcelaient la flottille. Deux cotres furent frappés et coulèrent. Les autres sortirent leurs avirons et commencèrent à se replier. Le Diablotin tenait encore, faisant feu de ses trois pièces, quand une fusée s’écrasa contre son bord avec un bruit de tonnerre, juste au-dessous de la ligne de flottaison. Une fumée épaisse s’éleva.  
    — C’est une diablerie ! cria Bordes. Le feu continue à brûler sous l’eau ! A souquer ! Nous rallions la Sappho !  
    Dès que les cotres se furent retirés, les Anglais avancèrent leurs batteries et commencèrent à pilonner la Sappho. Ayant maintenant tout leur temps, ils tiraient à boulets rouges, essayant d’incendier le navire.  
    Comme il arrivait bord à bord avec la corvette, le Diablotin fut atteint par un boulet et se désintégra. Projeté à l’eau, Hazembat barbota un moment, puis finit par trouver un filin et se hissa à bord de la Sappho.  
    La première chose qui le frappa fut sa ressemblance avec la Bayonnaise. Le pont était couvert d’espars brisés, de blessés et de cadavres, mais le gréement paraissait tenir bon. Quatre des dix pièces de bâbord tiraient encore. Les fusées et les boulets rouges y allumaient çà et là des incendies que de maigres équipes combattaient de leur mieux. Hazembat se mit dans la chaîne pour passer les seaux. En levant les yeux, il vit, fixé au beaupré, le grand pavillon tricolore.  
    Un boulet coupa la hampe. D’un bond, il fut à l’avant et saisit l’enseigne avant qu’elle ne glissât à l’eau.  
    — Au grand mât ! lui cria un officier en lui tendant un marteau.  
    Dans le miaulement des boulets et le fracas des explosions, il monta jusqu’au perroquet et fixa ce qui restait de la hampe au ton de cacatois.  
    Quand il redescendit, deux canons seulement tiraient encore. L’officier l’interpella.  
    — Le capitaine a été tué ! Nous ne sommes plus que six à bord ! Prends la barre pendant que nous tâchons de lever l’ancre ! Nous allons nous mettre à l’abri de la citadelle !  
    La Sappho vira lentement dans le flot. Les survivants avaient réussi à larguer la hune de misaine, et le gouvernail répondait bien. Habilement, Hazembat laissa culer un instant, de manière à mettre le plus de distance possible entre les batteries anglaises et la corvette, puis, bâbord toute, il décrivit un demi-cercle et s’engagea dans la boucle de l’Adour qui menait à Bayonne.  
    De part et d’autre du fleuve, les quais étaient couverts de monde. Par temps beau et sec, la population était venue assister au spectacle.  
    Un boulet, de temps en temps, venait, à limite de portée, plonger dans le sillage de la corvette. Comme Hazembat bordait la rive de Saint-Esprit, un de ces boulets perdus frappa la Sappho, traversa la coque de part en part et alla décapiter un spectateur dans la foule.

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