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Le prix de l'hérésie

Le prix de l'hérésie

Titel: Le prix de l'hérésie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: S.J. Parris
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sur ma droite en direction de
Winchester House, où je devais retrouver le cortège royal avec lequel je
voyagerais jusqu’à la célèbre université d’Oxford.
    Le palais des évêques de Winchester était bâti en brique
rouge autour d’une cour, dans le style anglais, son toit s’ornant de cheminées
richement décorées qui surplombaient la grande salle et ses hautes fenêtres
verticales alignées face à l’eau. Devant le bâtiment, une pelouse descendait
jusqu’à un grand quai où je discernais maintenant une foule bariolée piétinant
l’herbe. L’air me portait des bribes de musique, des musiciens répétaient, et
la société de Londres avait semble-t-il sorti ses plus beaux atours pour
admirer le spectacle sous le soleil printanier. Près des marches, des
domestiques préparaient un grand bateau paré de riches tentures de soie et de
coussins jaunes et rouges. À l’avant se trouvaient huit places destinées aux
rameurs, tandis qu’à l’arrière un auvent aux broderies complexes abritait des
sièges confortables. Le vent agitait les bannières couleur rubis que le soleil
rendait encore plus éclatantes.
    Je mis pied à terre et un domestique vint se saisir de mon
cheval alors que je marchais vers la demeure, observé d’un œil suspicieux par
des gentilshommes élégamment vêtus. Soudain, je reçus une bourrade qui faillit
m’envoyer au tapis.
    « Giordano Bruno, vieux brigand ! Ils ne t’ont pas
encore brûlé ? »
    Retrouvant mon équilibre, je fis volte-face et découvris
Philip Sidney qui se tenait là, souriant jusqu’aux oreilles, bras grands
ouverts, jambes écartées et solidement plantées, les cheveux toujours arrangés
en une sorte de houppe remontant sur le haut du crâne, tel un enfant sorti à la
hâte de son lit. Sidney, le soldat-poète aristocrate que j’avais rencontré à
Padoue, quand je fuyais à travers l’Italie.
    « Il faudrait d’abord qu’ils m’attrapent, Philip,
dis-je en souriant largement à mon tour.
    — C’est Sir Philip, paysan. On m’a fait
chevalier cette année, vois-tu.
    — Excellent ! Cela signifie-t-il que tu vas
acquérir de bonnes manières ? »
    Il me prit dans ses bras et me donna de vigoureuses tapes
dans le dos. Notre amitié est bien curieuse, me dis-je tout en reprenant
ma respiration et en l’embrassant en retour. Nos parcours n’auraient pas pu
être plus différents. Sidney était né dans l’une des plus hautes familles de la
cour d’Angleterre, comme il ne s’était jamais lassé de me le rappeler, mais à
Padoue nous avions immédiatement découvert que nous étions dotés du pouvoir de
nous faire rire l’un l’autre, un bonheur rare et bienvenu dans cet endroit
austère et souvent sinistre. Encore maintenant, six ans après, je ne ressentais
aucune gêne en sa compagnie. D’emblée nous reprenions nos vieilles joutes
affectueuses.
    « Viens, Bruno, me dit Sidney en passant un bras sur
mes épaules et en me guidant en bas de la pelouse, au bord du fleuve. Par Dieu,
c’est une belle chose de te revoir ! Cette visite à Oxford aurait été
intolérable sans ta compagnie. As-tu entendu parler de ce prince
polonais ? »
    Comme je secouais la tête, Sidney leva les yeux au ciel.
    « Ma foi, tu le rencontreras bien assez tôt. Le palatin
Albert Laski : un dignitaire polonais qui a trop d’argent et pas assez de
responsabilités, et qui en conséquence passe son temps à se rendre nuisible
dans toutes les cours d’Europe. Il était censé partir à Paris, mais le roi
Henri de France lui interdit l’entrée de son royaume, si bien que Sa Majesté se
retrouve chargée du fardeau de le distraire encore un peu. D’où cette mise en
scène élaborée pour lui faire quitter la Cour. »
    Il désigna la barge d’un geste, puis jeta un coup d’œil
autour de nous pour s’assurer que personne ne pouvait l’entendre.
    « Je ne blâme pas le roi français d’avoir refusé sa
venue, c’est un homme singulièrement insupportable. Tout de même, c’est une
prouesse, et pas des moindres. Il y a bien une ou deux tavernes où l’on me
refuse l’entrée, mais pour se voir fermer tout un pays, il faut avoir un
véritable don pour se rendre indésirable. Don que Laski possède au plus haut
point, comme tu t’en apercevras. Mais toi et moi, nous allons quand même
prendre du bon temps à Oxford : tu épateras les benêts avec tes idées, et
je me languis déjà de baigner dans ta gloire et de te montrer mes

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