Le prix de l'hérésie
vieux
repaires, dit-il en m’assénant un coup dans le bras. Même si, comme tu le sais,
ce n’est pas notre seul but », ajouta-t-il à voix basse.
Debout côte à côte, nous contemplâmes le fleuve parsemé
d’embarcations minuscules, de chaloupes et de petits bateaux à voile blanche
croisant sur les eaux scintillantes. Le soleil du printemps illuminait les
somptueuses façades de brique et de bois sur la rive opposée et ce panorama
glorieux était dominé par la grande flèche de la cathédrale St Paul qui
s’élevait au-dessus des toits, plus au nord. En observant Londres la
magnifique, je me dis que j’avais de la chance d’être là, et qui plus est en si
bonne compagnie.
« J’ai quelque chose pour toi de la part de mon futur
beau-père, Sir Francis Walsingham, murmura-t-il, les yeux rivés sur le fleuve.
Regarde ce que me vaut d’avoir été fait chevalier, Bruno, voilà que je sers
d’intermédiaire. »
Il se redressa et leva la main devant ses yeux pour se
protéger du soleil pendant qu’il surveillait brièvement l’endroit où mouillait
notre bateau. Puis il plongea la main dans le sac en toile qu’il portait et en
sortit une bourse en cuir renflée.
« C’est Walsingham qui te l’envoie. Tu devras peut-être
faire face à certaines dépenses au cours de tes investigations. Considère qu’il
s’agit d’une avance sur paiement. »
Sir Francis Walsingham. Le principal secrétaire d’État de la
reine Elisabeth. L’homme derrière ma présence improbable au sein de cette
compagnie. Son nom seul me procurait un frisson.
Nous nous écartâmes légèrement du reste de la foule
rassemblée pour admirer la barge royale qu’on décorait de fleurs en vue de
notre départ. Non loin, le groupe de musiciens avait entamé un morceau dansant
et nous regardâmes les gens faire la ronde autour d’eux.
« Et maintenant, dis-moi, Bruno, tu n’as pas jeté ton
dévolu sur Oxford uniquement pour débattre de Copernic avec une bande de
professeurs moroses. Dès que j’ai appris ton arrivée en Angleterre, j’ai été
certain que tu devais être sur la piste de quelque chose d’important. »
Je jetai un coup d’œil alentour pour m’assurer que personne
ne pouvait nous entendre.
« Je suis venu dénicher un livre, répondis-je. Un livre
que je recherche depuis un moment. Je crois qu’il a été apporté en Angleterre.
— Je le savais ! »
Sidney m’agrippa le bras et m’attira près de lui.
« Et qu’y a-t-il dans ce livre ? Des préceptes de
magie noire à même de te dévoiler les arcanes de l’univers ? Tu goûtais
déjà ce genre de choses à Padoue, d’après mes souvenirs. »
J’étais incapable de savoir s’il se moquait de moi, mais je
décidai de faire confiance à ce qu’avait été notre amitié en Italie.
« Que dirais-tu, Philip, si je t’annonçais que
l’univers est infini ? »
Il parut circonspect.
« Je dirais que ça dépasse de beaucoup l’hérésie
copernicienne, et que tu ferais bien de parler moins fort.
— Eh bien, c’est ce que je crois, dis-je doucement.
Copernic n’a pas dit toute la vérité. L’image du cosmos selon Aristote, avec
ses étoiles fixes et les sept planètes en orbite autour de la Terre, c’est de
la pure tromperie. Au lieu de la Terre, Copernic a placé le Soleil au centre du
cosmos. Mais je vais plus loin, je dis qu’il y a beaucoup de Soleils, beaucoup
de centres, autant qu’il y a d’étoiles dans le ciel. L’univers est infini, et
si c’est le cas, pourquoi ne serait-il pas peuplé d’autres terres, d’autres
mondes, et d’autres êtres comme nous-mêmes ? J’ai décidé que l’œuvre de ma
vie sera d’en apporter la preuve.
— Comment pourras-tu le prouver ?
— Je verrai tous ces mondes. Je pénétrerai les confins
de l’univers, par-delà les sphères.
— Et comment comptes-tu t’y prendre, au juste ? Tu
vas apprendre à voler ? »
Le doute était perceptible dans sa voix, et je ne pouvais
pas lui en vouloir.
« Par la connaissance contenue dans le livre perdu du
sage égyptien Hermès Trismégiste, qui le premier a percé ses mystères. Si
j’arrive à le retrouver, j’apprendrai les secrets dont j’ai besoin pour me
déplacer à travers les sphères à la lumière de la compréhension divine, et
ainsi je pénétrerai l’Esprit divin.
— Tu veux pénétrer l’esprit de Dieu ,
Bruno ?
— Non, écoute. Depuis la dernière fois que je t’ai vu,
j’ai
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