Le prix de l'hérésie
bruit sourd ressemblant au grognement d’un chien. Les nerfs à fleur de
peau depuis les événements de la matinée, je sursautai et tournai la tête pour
m’apercevoir que ce n’était que le palatin qui ronflait. Mais cela avait suffi
pour me faire perdre le fil de mon exposé. Quelques instants plus tard, une
cohue nous perturba : un élève se frayait un chemin dans l’assistance
jusqu’aux professeurs pour attirer l’attention de l’un d’entre eux ; il
cherchait le docteur Coverdale qui, répondant à une requête, quitta
immédiatement sa place en marmonnant des excuses théâtrales à tous ceux qu’il
dérangeait en chemin. Je ne m’attendais pas que Coverdale fasse assaut de
courtoisie à mon égard ; en revanche je fus surpris qu’il se conduise
aussi abruptement vis-à-vis de son propre recteur et quitte la salle au milieu
des débats.
Nous en arrivâmes laborieusement à une fin qui fut tout sauf
une conclusion. Je mis en avant des calculs savants qui mettaient en relation
le diamètre respectif de la Lune, de la Terre et du Soleil en des termes que
même un idiot aurait compris. En réponse, Underhill se contenta de répéter les
vieilles conceptions scolastiques erronées communes à tous ceux qui mélangent
science et théologie et qui croient que les Saintes Écritures répondent à
toutes nos interrogations scientifiques. Il fit aussi des références fréquentes
et perfides à mon statut d’étranger, lequel impliquait nécessairement une
infériorité intellectuelle, et rappela à plusieurs reprises que Copernic étant,
lui aussi, un étranger, on ne pouvait espérer qu’il affiche la solide logique
d’un Anglais. Il oubliait apparemment que ce navrant simulacre de débat avait
été organisé en l’honneur d’un compatriote de Copernic. Je fus heureux d’en
terminer avec cette parodie et, m’inclinant sèchement devant les
applaudissements hypocrites, je descendis de mon pupitre, blessé et humilié.
Ensuite, tandis que la salle se vidait, aucun des
professeurs n’osa croiser mon regard. Je m’assis sous la fenêtre, morose, en me
disant que j’allais attendre qu’ils soient tous partis pour m’épargner des
moqueries supplémentaires ou, pis encore, la commisération, quand je vis Sidney
me rejoindre depuis l’estrade. Il s’approcha de moi en secouant la tête.
« Ce soir, j’ai eu honte de mon université,
Bruno ! s’emporta-t-il, rouge d’indignation. Underhill est un serpent, il
n’a à aucun moment répondu à ton argumentation ! Je dis que c’est honteux.
De l’arrogance pure et simple. »
Il secoua de nouveau la tête, les lèvres pincées, comme s’il
s’en voulait personnellement.
« C’est le trait le moins attrayant de notre nation,
cette croyance en notre supériorité.
— J’ai eu trop de chance de compter Walsingham et toi
parmi mes connaissances. Je m’étais imaginé que tous les Anglais étaient aussi
larges d’esprit et curieux du monde. Je me trompais du tout au tout.
— Remarque, dit philosophiquement mon ami, tu ne te
rends pas service, Bruno. Ce discours d’ouverture, quel était le but ?
— Il a été très bien reçu à Paris.
— Sans doute. Mais ça ne se passe pas exactement de la
même façon ici. Nous n’apprécions pas beaucoup ceux qui chantent avec excès
leurs propres louanges. Je crois que tu as perdu l’assistance dès cet instant.
Et laisse peut-être de côté les pénis circoncis la prochaine fois…
— Je le garderai à l’esprit, répondis-je avec raideur.
Même si je doute qu’il y ait une prochaine fois.
— Mon pauvre ami, tu n’as pas eu beaucoup d’occasions
de t’amuser jusqu’ici, pas vrai ? »
Il m’étreignit affectueusement.
« D’abord la compagnie d’un cuistre polonais, ensuite
un homme est tué brutalement sous tes fenêtres, et maintenant tu subis cette
indignité de la part d’idiots incapables de comprendre ta vision. Je suis
désolé pour toi, vraiment. Mais peut-être pourrions-nous maintenant nous
concentrer sur notre vrai travail ? De toute façon, nous sommes tous
invités à dîner à Christ Church. Allons vider leur cave, oublions cette triste
histoire et passons une bonne soirée, qu’en dis-tu ? »
Je le regardai, reconnaissant des efforts qu’il déployait,
mais la compagnie de gais lurons était la dernière des choses que je désirais.
« Merci, Philip, mais j’ai peur de ne pas être de très
bonne humeur à table ce soir. Je vais me
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