Le prix de l'hérésie

jusqu’à
l’enquête, maint’nant ? Vous vous sentirez bientôt comme chez vous ici.
    — J’en suis sûr. »
    Je souhaitai bonne nuit à Cobbett en mesurant les
conséquences de ses propos. Combien de temps serais-je contraint de rester
ici ? me demandai-je. Combien de temps la loi m’obligerait-elle à rester
pour témoigner tandis que le palatin et Sidney partiraient comme prévu ?
    Tout autour de la petite cour carrée, la lumière ambrée des
chandelles brillait à quelques fenêtres, répandant une lueur amicale, mais je
ne parvenais pas à me défaire du sentiment de malaise qui me poursuivait depuis
Londres. Quelque chose de cruel était à l’œuvre ici, et j’eus l’horrible
pressentiment que c’était loin d’être terminé. Alors que j’observais les
fenêtres, je sentis qu’on m’épiait.
    L’escalier était plongé dans un tel silence et une telle
obscurité que sans la lanterne de Cobbett j’aurais dû avancer à tâtons, comme
un aveugle. Et je n’aurais sans doute pas remarqué le papier qu’on avait glissé
sous ma porte si, en marchant dessus, il n’avait produit un léger froissement.
Je me penchai pour le ramasser. C’était une feuille pliée en quatre avec soin.
Je l’ouvris. Un autre bout de papier, plus petit et pas plus large qu’un ruban,
tomba à terre en papillonnant. Grâce au halo lumineux dispensé par la lanterne,
je discernai une série de cercles concentriques sur la feuille. Intrigué,
j’entrepris immédiatement d’allumer les bougies de la chambre afin d’y voir
plus clair. J’examinai ensuite l’étrange missive. Ma stupéfaction ne faiblit
pas, bien au contraire : ce que j’avais sous les yeux était assez clair,
mais sa signification… Car, à n’en pas douter, il s’agissait d’une
représentation de l’univers selon Copernic, dessinée d’une main habile, avec
les sept planètes traçant leur orbite autour du Soleil ; c’est du moins ce
qu’il me sembla au premier abord mais, au centre, à la place de l’astre
solaire, était représenté un petit cercle avec des rayons, le même symbole que
j’avais trouvé dans l’almanach de Roger Mercer.
    Complètement décontenancé, je pris le deuxième morceau de
papier, qui avait failli disparaître entre deux lattes de plancher, sur lequel
je distinguai des lettres imprimées. J’eus le souffle coupé à la lecture de la
phrase soigneusement découpée dans un livre :
     
    Je suis le
froment de Dieu,
    puissé-je
être moulu sous la dent des bêtes féroces
    pour
devenir le pain immaculé du Christ.

 
CHAPITRE 7
    Je tambourinai contre la porte des appartements du recteur
avec une telle frénésie que le domestique m’ouvrit avec un air angoissé, comme
s’il s’attendait à une nouvelle tragédie.
    « Je dois parler au recteur immédiatement, annonçai-je,
haletant.
    — Il dîne à Christ Church ce soir, messire, avec tous
les dignitaires de l’université. »
    Il leva la bougie pour mieux me voir, faisant glisser les
ombres sur les murs, et je m’aperçus que ses mains tremblaient.
    « S’est-il passé quelque chose ? »
demanda-t-il d’une voix anxieuse.
    Évidemment… J’avais oublié qu’il était tôt. Underhill
célébrait son triomphe et il ne reviendrait sans doute pas avant plusieurs
heures.
    « C’est une affaire très urgente, dis-je en reprenant
mon souffle. Je vais l’attendre, il faut que je lui parle ce soir. »
    Le domestique, un homme d’une cinquantaine d’années à la mine
sévère, me dévisagea d’un air soupçonneux.
    « Vous pouvez revenir plus tard, messire, mais je ne
saurais vous permettre d’attendre dans les appartements du recteur alors que
ces dames y sont seules.
    — Je ne leur veux aucun mal, je veux simplement être certain
de ne pas le manquer.
    — Qui est-ce, Adam ? »
    C’était la voix de Sophia. Elle apparut bientôt derrière le
domestique, un livre à la main, les bougies éclairant son visage gracieux.
    « C’est l’ étranger, mademoiselle Sophia, il
vient voir votre père. Je lui ai dit de revenir plus tard.
    — Balivernes ! Qu’il attende au chaud, je suis
sûre que Père ne restera pas dehors longtemps. Les réjouissances ne sont pas
son point fort, dit-elle en me souriant par-dessus l’épaule du domestique.
Bonsoir, docteur Bruno. Je vous en prie, entrez. »
    Le regard du domestique passa d’elle à moi avec
consternation.
    « Je ne crois pas que votre père approuverait,
mademoiselle,