Le prix de l'hérésie
salua d’une révérence avant de grimper les
marches quatre à quatre et de se perdre dans la foule.
« Docteur Bruno, je me demandais si je pouvais vous dire
un mot avant que nous n’entrions, s’enquit Coverdale à voix basse. Ne vous
inquiétez pas, nous avons le temps. Le palatin n’est toujours pas là et on ne
peut pas commencer sans lui. »
Cela n’était pas pour me surprendre : Laski était bien
du genre à être en retard. J’attendis poliment que Coverdale se mette à table.
Il passa d’une jambe sur l’autre, mal à l’aise.
« Vous savez qu’il y aura une enquête sur la mort du
pauvre docteur Mercer, commença-t-il. Les premiers arrivés sur les lieux de
l’accident seront entendus. J’ai cru comprendre que vous étiez arrivé
rapidement, avec le recteur et maître Norris. »
Il ne me lâchait pas le coude, un geste dont je ne parvenais
pas à déterminer s’il se voulait rassurant ou menaçant.
« Oui, et je serais très heureux de raconter ce que
j’ai vu, mais j’espère que l’enquête aura lieu avant mon retour à Londres,
répondis-je en attendant la suite, car j’étais certain que ce n’était qu’un
préambule.
— C’est seulement que… ah… » Il hésita un instant,
eut un petit rire nerveux. « Le recteur m’a dit que vous avez cru le
portail du jardin de Brasenose Lane fermé lorsque vous avez découvert ce pauvre
Roger.
— Tout à fait, j’ai essayé de l’ouvrir, il était
verrouillé. Comme tous les autres accès.
— Oui, en entendant cela, j’ai pris conscience que bien
sûr vous ne connaissez pas bien notre collège. Vous ne pouviez donc pas savoir
que la poignée du portail est très dure à ouvrir de l’intérieur. »
Je plissai le front pour marquer mon scepticisme.
« Oui, poursuivit-il sans croiser mon regard. Elle est
particulièrement difficile à manier, il faut attraper le tour de main pour
réussir à la tirer. Je vous en informe pour le cas où vous auriez eu
l’intention de suggérer, lors de l’enquête, que le portail était fermé. En
effet, cela ne ferait qu’ajouter toutes sortes de complications à une affaire
certes tragique, mais d’une simplicité confondante. Le gardien a oublié de
fermer le portail, un chien errant est entré, le malheureux Roger a payé de sa
vie l’étourderie d’un autre. C’est terrible, oui, vraiment terrible. » Il
posa la main sur son cœur, plein de tristesse. « Mais toutes ces
discussions à propos du portail ne pourraient, je le crains, que donner le
sentiment d’une conspiration, là où il n’y a que fatalité. »
Je n’arrivais pas à en croire mes oreilles. Je me dégageai
de son emprise et me plantai face à lui. Les élèves continuaient à monter
l’escalier et je baissai donc la voix pour ne pas être entendu.
« Docteur Coverdale, le portail était fermé à clé. Je
n’ai pas le moindre doute à ce sujet. J’ai essayé moi-même de l’ouvrir. Et
quand bien même le verrou n’aurait pas été tourné, le chien n’a pas refermé
derrière lui.
— Le vent a pu claquer la porte », rétorqua
Coverdale.
Je restai interdit un instant. Croyait-il vraiment qu’il allait
me faire douter de ce que j’avais vu de mes propres yeux ?
« Un portail en bois comme celui-là ?
m’emportai-je, sotto voce. J’étais là, docteur Coverdale. J’ai examiné
toutes les possibilités avec le recteur.
— Entre-temps, le recteur a eu le temps de porter un
jugement plus sobre sur les événements de ce matin, et il en a conclu qu’à
cause de la brume et de la panique il était difficile de discerner quoi que ce
soit avec certitude. C’est lui qui s’est souvenu que la poignée était raide et
que cela pouvait induire un étranger en erreur. Le coroner qui conduira
l’enquête prendra certainement en compte le fait qu’on ne peut pas attendre de
vous que vous connaissiez le collège par cœur. Je ne vous fais part de tout
cela que pour éviter que votre insistance prolonge et complique un processus
déjà très pénible pour les collègues et les amis du docteur Mercer. Il n’y a
rien à gagner à ajouter de faux mystères et des soupçons fantaisistes à un
accident tragique. »
Ainsi donc, ils avaient décidé de réécrire les circonstances
de la mort de Mercer de façon à éviter un nouveau scandale au collège, même si
un assassin devait courir dans la nature. Protégeaient-ils quelqu’un en
particulier ou était-ce seulement pour eux le moyen
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