Le prix de l'indépendance
constitution car elle raffolait des sucreries. Elle pouvait engloutir toute une boîte de bonbons à la violette ou de loukoums en quelques minutes. A croire qu’elle essayait de rattraper les années de famine de son enfance dans les Highlands. Il lui avait apporté une livre de prunes confites.
Elle accepta le paquet joliment enveloppé qu’il lui tendait avec une moue ironique.
— Vous croyez qu’on peut m’acheter aussi facilement que ça ?
— En aucune manière. C’est pour me faire pardonner d’avoir troublé votre repos.
Il improvisait. En réalité, il s’était attendu à la trouver au travail car il était plus de dix heures du soir.
— Que voulez-vous, c’est la nuit de Noël. Tous les hommes qui ont un foyer restent chez eux en famille.
Elle bâilla, ôta son bonnet et passa ses doigts dans la masse désordonnée de ses boucles noires.
— Pourtant, il semble que vous ayez des clients.
On entendait des chants deux étages plus bas et, lorsqu’il était passé devant, le salon paraissait plein.
— Ah, eux ? Ce sont les désespérés. Je les laisse à Maybelle. Ça me fait trop de peine de les voir. Ils ne cherchent pas vraiment une femme, ceux qui viennent la nuit de Noël, juste à s’installer près d’un bon feu et un peu de compagnie.
Elle lui indiqua un siège, s’assit et tira sur le ruban du paquet avec impatience.
— Dans ce cas, permettez-moi de vous souhaiter un joyeux Noël.
Il l’observait avec un amusement teinté d’affection. Elle enfourna une des confiseries, ferma les yeux et poussa un soupir extatique. Elle n’avait même pas avalé la première qu’elle en engloutissait une seconde.
— Mmmm…
Il supposa que l’intonation cordiale de cette remarque signifiait qu’elle lui en souhaitait autant.
Naturellement, il avait été conscient de la date mais il s’était efforcé de ne pas y penser tout au long de cette journée glaciale. Il était tombé des cordes sans interruption, une pluie gelée entrecoupée de rafales de grêle. Il était transi depuis l’aube, quand il avait été réveillé par le valet de Minnie venu le convoquer à Argus House.
La chambre de Nessie était petite mais élégante. Il y régnait une confortable odeur de sommeil. Son lit immense était orné d’un baldaquin à carreaux roses et noirs dans le style reineCharlotte du dernier cri. Epuisé, affamé et glacé jusqu’aux os, il se sentait attiré par cette caverne chaude et accueillante, avec ses oreillers en plumes d’oie, son édredon, ses draps propres et doux. Que penserait-elle s’il lui demandait de partager son lit cette nuit ?
Un feu auprès duquel s’asseoir et un peu de compagnie .
Il prit soudain conscience d’un bourdonnement grave. Un coup d’œil en direction du son lui apprit que ce qu’il avait pris pour un amas de draps froissés cachait un corps ; le gland de passementerie d’un élégant bonnet de nuit s’étirait sur un oreiller.
Nessie suivit son regard et sourit.
— Ce n’est que mon Rab, dit-elle. Milord serait-il tenté par une petite partie à trois ?
Tout en rougissant, il réalisa qu’il l’appréciait non seulement pour sa personnalité et ses talents d’espionne mais également parce qu’elle avait le don de le désarçonner. Elle ignorait sans doute la nature exacte de ses penchants mais, prostituée depuis l’enfance, elle savait interpréter les désirs de chacun, consciemment ou non.
— Non, merci, répondit-il poliment. Je ne voudrais pas déranger votre mari.
Il s’efforça de ne pas penser aux mains larges et fortes de Rab MacNab ni à ses cuisses puissantes. Avant son mariage avec Nessie et l’établissement de leur bordel prospère, il avait été porteur de chaise. Vendait-il lui aussi son corps à présent… ?
Elle lança un regard affectueux vers le lit.
— Oh, vous ne réveilleriez pas mon gros ours avec un coup de canon.
Elle se leva néanmoins et alla tirer les rideaux du baldaquin, étouffant les ronflements.
— En parlant de canon, vous avez l’air de sortir du champ de bataille. Tenez, buvez donc un petit verre. Je vais vous faire monter un repas chaud.
Elle lui indiqua une carafe et des verres sur un guéridon et tendit la main vers le cordon de sonnette. Il l’arrêta d’un geste.
— C’est très aimable à vous mais je n’ai pas beaucoup de temps. Cela dit, un remontant ne serait pas de refus.
Le whisky lui réchauffa la gorge (elle ne buvait rien d’autre, considérant le gin
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