Le prix de l'indépendance
attendait le médecin.
Quand il frappa à la porte, celle-ci fut ouverte presque aussitôt par un laquais débraillé. Il avait visiblement enfilé sa chemise à la hâte. Ses traits anxieux se détendirent légèrement en reconnaissant Grey.
— Le duc… ?
Le laquais (Grey se souvint soudain qu’il s’appelait Arthur) lui prit son manteau.
— Il a eu un malaise au milieu de la nuit mais il va mieux.
Grey gravit les marches quatre à quatre et croisa le médecin au milieu de l’escalier, un homme mince et au teint grisâtre qu’il identifia aussitôt à sa sacoche et à sa veste qui sentait le malade. Il le saisit par la manche.
— Comment va-t-il ?
Le médecin eut un mouvement de recul offusqué puis, apercevant son visage à la lueur d’une applique, vit sa ressemblance avec Hal et abandonna toute morgue.
— Légèrement mieux, milord. Ma saignée a soulagé sa respiration.
Grey le lâcha et bondit vers le palier. La porte de la chambre de Hal était ouverte et il entra en coup de vent, effrayant une servante chargée d’un pot de chambre délicatement drapé dans un linge brodé de grandes fleurs brillantes. Il marmonna un mot d’excuse et entra dans la chambre de son frère.
Il était assis dans son lit, calé contre des oreillers. Il avait le teint cireux. Minnie était à son chevet, son joli minois rond tiré par l’angoisse et la fatigue. Grey s’assit de l’autre côté du lit.
— Je vois que monsieur le duc chie même avec élégance.
Hal souleva une paupière grise et le regarda. Son visage était peut-être squelettique mais son œil gris était toujours aussi vif. Grey fut envahi d’un soulagement immense.
— Ah, tu veux parler du linge ? dit Hal d’une voix faible mais claire. C’est Dottie. Elle refuse de sortir même si je lui ai promis de ne pas mourir en son absence.
Il s’interrompit pour reprendre son souffle, toussota puis reprit :
— Dieu merci, elle n’est pas portée sur les actes de piété ; elle n’a aucun talent pour la musique et elle possède une telle vitalité qu’elle représente un vrai danger pour notre personnel de cuisine. Minnie lui a donc appris le point de croix en guise d’exutoire à sa formidable énergie.
Minnie se tourna vers son beau-frère avec une mine navrée.
— Je suis désolée, John. Je l’ai envoyée se coucher mais j’ai vu qu’il y avait toujours de la lumière chez elle. Elle doit être en train de te broder des pantoufles.
Grey estima des pantoufles relativement inoffensives, quel que soit le motif choisi.
— Tant que ce ne sont pas des caleçons… Je ne supporte pas que ça me gratte.
Cette réflexion fit rire Hal, qui fut pris d’une quinte de toux alarmante. D’un autre côté, ses joues retrouvèrent un peu de couleurs.
— Tu n’es donc pas à l’article de la mort ? demanda Grey.
— Non.
— Tant mieux.
Grey sourit en ajoutant :
— Ne t’avise pas de l’être.
Hal haussa un sourcil surpris puis, se souvenant d’une conversation similaire qu’ils avaient eue des années plus tôt, sourit à son tour.
— Je ferai de mon mieux.
Il posa une main affectueuse sur le bras de sa femme.
— Ma chère…
Elle se leva aussitôt.
— Je vais vous faire préparer du thé.
Après un regard à Grey, elle ajouta :
— Et un bon petit déjeuner chaud.
Elle referma sans bruit la porte derrière elle.
Hal se redressa un peu plus contre ses oreillers, sans prêter attention au bandage souillé de sang à son bras.
— Alors, que se passe-t-il ? demanda-t-il. Tu as des nouvelles ?
— Très peu. Mais j’ai un tas de questions inquiétantes.
La nouvelle de la capture de Henry était arrivée dans un billet à l’intention de Hal glissé à l’intérieur d’une lettre adressée à Grey. Elle lui avait été envoyée par un de ses contacts du monde des renseignements et comportait une réponse à ses questions sur les relations françaises d’un certain Percival Beauchamp. Il n’avait pas voulu en parler à son frère avant d’avoir eu une discussion avec Nessie. De toute manière, Hal n’aurait pas été en état de l’entendre.
— On ne connaît aucun lien entre Beauchamp et Vergennes, l’informa-t-il en citant le nom du ministre des Affaires étrangères français. En revanche, on l’a souvent vu en compagnie de Beaumarchais…
Cela provoqua une nouvelle quinte de toux.
— Tu m’étonnes ! lança Hal une fois remis. Ce doit être en raison d’un intérêt mutuel pour le petit
Weitere Kostenlose Bücher