Le prix de l'indépendance
avec son cahier et entra dans le bureau de Brianna.
— De quel droit pomperais-je l’air des gens avec ma morale ?
Elle releva le nez d’une planche montrant les différents éléments d’une turbine hydroélectrique mais, à son regard vide, il était clair qu’elle était encore trop absorbée pour comprendre qui lui parlait et ce qu’on lui disait. Il y était habitué et attendit avec une pointe d’impatience que son esprit se détache de la turbine et se concentre sur lui.
— … pomper qui ? dit-elle en plissant le front. A qui veux-tu faire la morale ?
— Eh bien… fit-il en lui désignant le cahier : Aux enfants, je suppose.
— Il est parfaitement normal d’apprendre la morale à ses enfants. Tu es leur père, c’est ton boulot.
— Ah… fit-il, légèrement décontenancé. Oui mais… J’ai fait un bon nombre de choses que je leur dis de ne pas faire.
Le sang . Effectivement, c’était peut-être une forme de protection. Ou peut-être pas.
Elle arqua un épais sourcil roux.
— Tu n’as jamais entendu parler d’une hypocrisie salutaire ? Je croyais qu’ils vous apprenaient ça au séminaire. Après tout, l’enseignement de la morale ne relève-t-il pas aussi des fonctions du pasteur ?
Devant son regard bleu et attentif il inspira profondément. On pouvait toujours faire confiance à Bree pour mettre les pieds dans le plat. Après leur retour, elle n’avait pas dit un mot au sujet de sa quasi-ordination ; elle ne lui avait pas demandé ce qu’il comptait faire de sa vocation. Pas la moindre allusion durant toute l’année qu’ils avaient passée aux Etats-Unis, pendant l’opération de Mandy, pendant les mois de travaux pour restaurer Lallybroch une fois qu’ils l’avaient racheté. Elle avait attendu qu’il lui ouvre la porte. Après ça, bien sûr, elle était entrée au pas de charge, l’avait terrassé et avait planté un pied sur sa poitrine.
— Oui, répondit-il. En effet.
Elle lui sourit.
— Parfait, alors où est le problème ?
Il sentit sa gorge se nouer.
— Bree… Si je le savais, je te le dirais.
Elle se leva et posa une main sur son bras mais, avant que l’un ou l’autre ait pu en dire plus, des petits pieds nus coururent dans le couloir et la voix de Jemmy retentit dans le bureau de Roger :
— Papa ?
— Ici, mon grand !
Brianna se dirigeait déjà vers la porte. Il lui emboîta le pas pour découvrir son fils vêtu de son pyjama Superman, ses cheveux mouillés hérissés sur le crâne, se tenant devant son bureau et examinant la lettre d’un air intrigué.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il.
Mandy se précipita et escalada la chaise pour mieux voir en répétant :
— Quessesset ?
Brianna répondit du tac au tac :
— Une lettre de votre grand-père.
Elle posa une main sur la lettre, cachant une grande partie du post-scriptum, et pointa l’index vers un paragraphe.
— Il vous embrasse. C’est écrit là, vous voyez ?
Un sourire radieux illumina le visage de Jem.
— Il avait bien dit qu’il n’oublierait pas, dit-il, ravi.
— Bisou, bisou, grand-papa ! s’exclama Mandy.
Elle se pencha en avant en faisant retomber la masse de ses boucles noires sur son visage et plaqua un « smack » sonore sur le papier.
Partagée entre l’horreur et le rire, Brianna saisit rapidement le feuillet et essuya la bave. Heureusement, bien qu’ancien, le papier était solide. Elle le tendit à Roger et déclara comme si de rien n’était :
— Bien ! Quelle histoire va-t-on lire, ce soir ?
— Des zistoires avec des zaminaux ! s’écria Mandy.
— Des a-ni-maux, la corrigea son frère.
— D’accord ! répondit-elle sans s’offusquer. Moi d’abord !
Elle s’élança dans le couloir tel un bolide, talonnée de près par son frère. Brianna prit trois secondes pour attraper Rogerpar les deux oreilles et lui planter un baiser sur la bouche avant de le lâcher et de suivre sa progéniture.
Rasséréné, il se rassit, écoutant le rituel du brossage de dents. Avec un soupir, il rangea son cahier dans un tiroir. Il n’y avait rien d’urgent, après tout. Il s’écoulerait des années avant qu’il soit utile. Des années et des années.
Il replia soigneusement la lettre et, dressé sur la pointe des pieds, la déposa sur la plus haute étagère de la bibliothèque. Il replaça le petit serpent par-dessus. Il moucha ensuite la bougie et sortit rejoindre sa famille.
P.-S. : Je vois qu’on me laisse le dernier mot, un
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