Le prix de l'indépendance
privilège rare pour un homme qui cohabite dans une maison avec huit femmes (la dernière fois que je les ai comptées). Nous projetons de quitter les montagnes dès que le climat nous le permettra. Nous partirons pour l’Ecosse afin d’y chercher ma presse d’imprimerie que nous rapporterons avec nous. Voyager ces temps-ci est particulièrement difficile et j’ignore quand ou même si j’aurai l’occasion de vous écrire à nouveau (je ne sais pas non plus si vous lirez un jour cette lettre mais je préfère partir du principe que ce sera le cas).
Je voulais vous parler de la disposition d’un bien autrefois confié aux Cameron au nom d’un gentilhomme italien. Il me paraît peu sage de l’emporter avec nous et je l’ai donc placé en lieu sûr. Jem connaît l’endroit. S’il vous arrivait d’en avoir besoin, dites-lui que l’Espagnol le protège. Dans l’éventualité où vous le récupéreriez, assurez-vous de le faire bénir par un prêtre. Il a été souillé de sang.
Il m’arrive parfois de souhaiter pouvoir connaître l’avenir ; mais, le plus souvent, je remercie le ciel d’en être incapable. Néanmoins, je verrai toujours vos visages. Embrassez les enfants pour moi.
Votre père qui vous aime,
J. F.
Une fois les enfants débarbouillés, couchés, bordés et embrassés, les parents se retrouvèrent dans la bibliothèque devant un verre de whisky et la lettre.
— Un gentilhomme italien ?
Bree regarda Roger en arquant un sourcil, une attitude qui lui rappelait tant Jamie Fraser qu’il baissa involontairement les yeux vers la lettre.
— Veut-il parler de…
— Charles-Edouard Stuart, il ne peut s’agir que de lui.
Elle prit la lettre et relut le post-scriptum pour la énième fois.
— Dans ce cas, le bien en question…
— Il a découvert l’or. Et Jem saurait où il l’a caché ?
Il n’avait pu s’empêcher d’employer un ton interrogatif, levant les yeux vers le plafond au-dessus duquel les enfants dormaient, espérait-il, paisiblement, drapés dans leur innocence et leur pyjama orné de personnages de bandes dessinées.
— Tu crois ? demanda Brianna. Ce n’est pas exactement ce que dit papa. Et s’il sait vraiment, c’est un secret terriblement lourd pour un enfant de huit ans.
— Effectivement.
L’âge importait peu, se dit Roger. Jem savait garder un secret. Toutefois, Bree avait raison, son père n’aurait jamais imposé à quiconque un fardeau aussi lourd et dangereux, surtout pas à son cher petit-fils. Et certainement pas sans une bonne raison. En outre, le post-scriptum laissait clairement entendre qu’il ne leur transmettait cette information qu’au cas où ils en auraient besoin.
— Tu as raison. Jem ne sait rien au sujet de l’or… il ne connaît que « l’Espagnol ». Il t’a déjà dit quelque chose à ce sujet ?
Elle fit non de la tête puis se tourna quand un courant d’air chargé d’une odeur de pluie gonfla les rideaux. Elle se leva précipitamment pour fermer la fenêtre avant de monter vérifier celles de l’étage supérieur, faisant signe à Roger de s’occuper de celles du rez-de-chaussée. Lallybroch était une grande maison. Les enfants essayaient régulièrement de compter ses fenêtres sans jamais parvenir deux fois au même nombre.
Roger aurait pu les compter lui-même et régler la question une fois pour toutes mais il rechignait à le faire. Comme toutes les vieilles demeures, Lallybroch avait sa propre personnalité. Ses bâtisseurs avaient cherché le confort plutôt que l’épate.Elle était accueillante, spacieuse et belle ; avec l’écho des générations antérieures murmurant entre ses murs. Elle avait également ses petits secrets et il trouvait que de ne pas révéler le nombre de ses fenêtres cadrait bien avec son esprit espiègle.
Les fenêtres de la cuisine étaient fermées mais il la traversa quand même. Elle était maintenant équipée d’un réfrigérateur moderne, d’une cuisinière Aga et d’une nouvelle tuyauterie mais avait conservé ses vieux plans de travail en granit tachés de jus de baies ainsi que du sang des volailles et du gibier. Dans la dépense, la lumière était éteinte mais il distinguait néanmoins la grille de ventilation dans le sol qui alimentait le « trou du curé ».
Ces cachettes avaient été courantes aux XVI e et XVII e siècles pour y abriter les prêtres catholiques persécutés. Son beau-père y avait trouvé refuge lui aussi juste après le soulèvement
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