Le prix de l'indépendance
supérieurs croire qu’il avait été tué. Hélas, c’était impossible pour de multiples raisons, la première étant que son père aurait sans doute préféré savoir son fils mort plutôt que lâche.
Il n’y avait rien à faire. Il se releva, résigné, puisant une maigre consolation dans le fait que les brigands lui avaient au moins laissé sa redingote. Le brouillard se dissipait légèrement ici et là mais restait dense et frisquet près du sol. Il s’en rendit à peine compte : son sang bouillonnait.
Il examina les silhouettes nébuleuses d’arbres et de rochers autour de lui. Elles ressemblaient à s’y méprendre à celles de tous les maudits arbres et rochers qu’il avait vus tout au long de cette maudite journée.
— Bon, dit-il à voix haute.
Il pointa un doigt en l’air et tourna sur lui-même.
— Un petit cochon pendu au plafond, tirez-lui la queue… Oh, et puis merde !
Il se mit en route en boitillant. Il ignorait où il allait mais l’inaction était pire que tout.
Il occupa un moment son esprit en imaginant sa récente rencontre agrémentée de visions gratifiantes où il saisissait le petit gros nommé Harry, lui tordait le nez jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un moignon sanglant puis lui fracassait le crâne sur une pierre. Il lui arrachait ensuite son couteau et éviscérait la petite raclure… lui lacérant les poumons. Les tribus sauvages de Germanie pratiquaient autrefois un rituel baptisé « l’aigle de sang » : ils tailladaient le dos de leur victime et extirpaient ses poumons à travers les entailles, si bien qu’ils palpitaient telles des ailes tandis qu’elle agonisait…
Il se calma peu à peu, simplement parce qu’il était impossible de rester dans un tel état de fureur.
Son pied lui faisait un peu moins mal. Sa main était écorchée mais ne l’élançait plus et ses fantasmes de vengeance commençaient à lui paraître absurdes. Etait-ce à quoiressemblait la furie du combat ? Cette envie de tuer non parce que le devoir le commandait mais parce que cela procurait du plaisir ? Que cela était aussi excitant que de posséder une femme ? Et se sentait-on un peu benêt après coup ?
Il songeait parfois au jour où il lui faudrait tuer au cours d’une bataille. Ce n’était pas une obsession mais il y pensait. Quand il s’était engagé dans l’armée, il s’était efforcé de visualiser ce moment. Et il était conscient qu’un tel acte pouvait entraîner des remords.
Avec franchise et sans chercher à se justifier, son père lui avait raconté les circonstances dans lesquelles il avait tué un homme pour la première fois. Ce n’était pas au cours d’une bataille mais peu après. L’exécution à bout portant d’un Ecossais blessé et laissé pour mort à Culloden.
« Cumberland avait donné l’ordre de ne pas faire de quartier », lui avait-il expliqué.
Lord John, qui jusque-là avait parlé en fixant les étagères de sa bibliothèque, s’était alors tourné vers lui.
« Les ordres, nous devons les suivre, bien sûr. Nous y sommes obligés. Mais il t’arrivera de ne pas en avoir ou de te trouver dans une situation où la donne a brusquement changé. Il y aura des moments où ton honneur te dictera de ne pas obéir. Dans ce cas, tu devras suivre ta conscience… et être prêt à en subir les conséquences. »
William avait hoché la tête, l’air grave. Il venait d’apporter les documents de sa commission afin que son père les examine et les signe. Il avait cru que ce ne serait qu’une formalité. Il ne s’était attendu ni à une confession ni à un sermon, si c’était bien ce dont il s’agissait.
« Je n’aurais pas dû, avait dit son père tout à trac. Je n’aurais pas dû l’achever.
— Mais… les ordres…
— Ils ne me concernaient pas directement. Je n’avais pas encore obtenu ma commission. J’accompagnais mon frère en campagne mais je n’étais pas encore officiellement soldat. Je n’étais pas sous l’autorité de l’armée, j’aurais pu refuser.
— Si tu ne l’avais pas tué, quelqu’un d’autre s’en serait chargé, non ? »
Son père avait souri brièvement.
« Oui, certainement, mais là n’est pas la question. Je dois reconnaître qu’il ne m’est même pas venu à l’esprit que je pouvais agir autrement. Or, c’est justement là mon erreur, William. Tu as toujours le choix. Tu ne l’oublieras jamais, n’est-ce pas ? »
Sans attendre sa réponse, lord John avait saisi une
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