Le rêve de Marigny
certaines femmes savent faire cela. Pour Julie tout était réglé. Marigny ne l’entendit pas de la sorte.
— Cette enfant ne peut demeurer à Paris, il lui faut l’air de la campagne, le calme aussi.
— N’avez-vous pas été élevé à Paris ? Et moi aussi ! Nous avons survécu.
— Ni vos parents, ni les miens, n’avaient la chance d’avoir une maison comme Ménars. La petite Jeanne-Alexandrine y sera mieux que partout ailleurs.
— Adélaïde restera à Paris.
Marigny fronça le sourcil. Adélaïde ? Le nom de sa marraine, soit. Il n’était pas lieu en l’occurrence de s’en flatter et de le rappeler à longueur de temps. La coutume voulait d’ailleurs que si l’on donnait à l’enfant enpremier prénom celui de sa marraine ou de son parrain, on usait le plus souvent dans l’intimité du deuxième ou du troisième prénom.
— Dans le bruit et la poussière.
— Si vous trouvez qu’il est meilleur de l’exposer au froid de la campagne…
— Je crois plutôt que c’est vous qui ne souhaitez pas vous établir en votre demeure de Ménars le temps d’élever votre enfant !
— Je ne vois pas pourquoi je serais obligée de m’isoler dans un désert parce que vous craignez les miasmes de la ville pour votre fille !
— Qui veillera sur elle, si ce n’est vous ?
— Vous lui avez trouvé vous-même une excellente nourrice. N’est-elle pas elle-même originaire de Ménars ?
— C’est la propre cousine de mon portier Henri Julien, je vous l’ai dit. L’avez-vous déjà oublié ?
— C’est de peu d’importance.
— Vraiment ?
— Une domestique…
— Elle nourrit votre enfant.
— On la paie pour cela.
— Elle l’aime déjà…
— Tant mieux, la tâche lui sera plus facile.
— Vous refusez de vous installer à Ménars quelque temps ?
Marigny se fâchait, Julie préféra louvoyer.
— Comment pourrai-je m’y rendre, à quelques jours de mes couches ?
— Je conduirai donc moi-même dès demain l’enfant et sa nourrice à Ménars.
Qui avait dit que l’arrivée des enfants consolidait un ménage ? Ce fou de Marmontel ! Comment pouvait-on parler avec tant d’aplomb des choses dont on ignorait tout ?
Plus que jamais la vie de Marigny prit l’allure d’une course perpétuelle. À Paris, à Versailles, il était toujours omniprésent, secouant son monde et s’astreignant le premier à un rythme difficile à tenir. À le regarder courir Cochin s’inquiétait.
— Ne pouvez-vous, monsieur, prendre quelque repos ?
— Du repos ? Ne vous inquiétez pas, la marquise en prend pour deux !
La critique n’irait pas plus loin et le petit Cochin se garda d’insister. En parlerait-il à Soufflot ? L’architecte était dévoré par ses propres soucis et les chausse-trappes qu’on s’ingéniait à dresser sur son propre chemin. Que dire ? Et à qui ? Que faire ? Si Marigny allait encore plus vite que son train coutumier, c’était qu’il voulait, sans jamais négliger sa charge, garder du temps pour sa princesse. Marigny était amoureux. Son idole n’avait que quelques semaines mais elle souriait déjà. Elle souriait ! La nourrice attesta ses propos. Alors Marigny parla à l’enfant, il lui dit comme elle avait de la chance d’avoir une maison aussi belle que Ménars, et qu’un jour Ménars lui appartiendrait. Il n’avait jamais été aussi heureux d’avoir fait de Ménars ce joyau, ce serait le château de Jeanne-Alexandrine. En attendant cet avenir merveilleux, Marigny entendait ne perdre aucun moment de la vie du bébé, il voulait la voir grandir,changer, ouvrir tout grands ses yeux qu’il trouvait immenses sur les merveilles qui l’entouraient. Alors il ne reculait jamais devant la fatigue de la route. Dès qu’il avait un moment il venait vers l’enfant même si ce n’était que pour passer quelques heures à Ménars. Il surgissait à l’improviste et s’assurait lui-même que les cheminées flambaient d’un bon feu, que l’enfant avait chaud, qu’elle était tenue proprement, que la nourrice en prenait un soin constant. Parfois il croisait son épouse venue jouer à la poupée. À tout coup la comtesse de Seran l’accompagnait. N’était-elle pas la marraine de l’enfant ? Marigny enrageait. Que la dame ne triomphe pas trop vite, il saurait bien l’écarter quand sa fille aurait grandi. Il n’était pas question qu’elle pût la corrompre. À ce rythme et dans cet état de grâce où
Weitere Kostenlose Bücher