Le rêve de Marigny
à autre chose.
— Rien de nouveau pour le Louvre ?
— Comme vous le savez mieux que moi il n’y a plus d’argent. Et sans argent…
— J’ai fait une nouvelle demande de crédits. J’ai chiffré l’ensemble des travaux. Trois millions et demi de livres… Étalés bien sûr sur un certain nombre d’années.
— Quel succès peut-on espérer ?
— J’ai fait valoir au roi, qui s’en émeut et au contrôleur des finances qui s’en moque, la peine que je ressens d’être obligé d’annoncer au public par la suppression des échafaudages l’impossibilité de reprendre les travaux. Vous m’avez remis un rapport sur celui qu’on a dressé en vue de réaliser la sculpture du fronton, où en sommes-nous ?
— Il pourrit, monsieur. Il faudra bientôt le démolir, il est devenu trop dangereux de s’aventurer dessus.
— Quand l’avez-vous installé ?
— Il y a dix ans.
Marigny se leva, arpenta la pièce nerveusement, s’arrêta.
— Nous y arriverons, Soufflot, il le faut. Continuez à travailler sur votre projet d’alignement de la rue du Coq, j’aime votre idée de ce nouveau guichet qui permettra au regard de porter depuis la cour intérieure du Louvre jusqu’au collège des Quatre Nations.
Soufflot soupira et prit congé. Oui, ils y arriveraient… Sans doute ?… On terminerait le Louvre, on élèverait Sainte-Geneviève. Il était essentiel de croire aux lendemains.
Les choses n’étaient pas toujours simples non plus à l’Académie de peinture et de sculpture. Le 23 juillet 1769 Cochin fit irruption en soirée à la Surintendance où il savait trouver Marigny même à une heure tardive. Le temps où le Directeur des Bâtiments s’efforçait de regagner plus tôt son hôtel pour tenir compagnie à la jeune marquise était dépassé. Marigny de nouveau s’attardait à ses affaires comme au temps de son célibat. Qui était d’ailleurs capable de dire où pouvait être la jeune femme à ce moment de la soirée ? Sans doute s’affairait-elle à sa toilette pour se préparer à sortir, et elle n’avait de toute évidence aucun moment à perdre en conversation avec son époux. Quelle conversation d’ailleurs ? Les époux n’avaient guère de préoccupations communes.
La soirée était bien avancée quand Cochin arriva en trombe. Comme Marigny il ne savait pas aller lentement même quand la journée était finie. Mais la journée était-elle jamais finie pour Cochin ? Ce soir il avait décidé de prendre le temps de raconter à Marigny les dernières péripéties du monde des arts.
— Bonsoir, Cochin ! Quelles nouvelles ?
— La journée a été rude ! Elle aurait même pu être pire…
— N’est-ce pas aujourd’hui que l’Académie devait procéder à la réception de monsieur Greuze ?
— Hélas !
— Je ne vous comprends pas. Il avait été agréé en 1755 avec les plus grands applaudissements. Ce n’était que justice. Son talent…
— Son talent est certain et il avait alors présenté des tableaux de genre qui avaient été appréciés. On attendait sans inquiétude le tableau de sa réception. Le choc a été rude !
— Son talent ne peut s’être perdu.
— Il n’est peut-être pas perdu mais il s’est fourvoyé.
Le visage de Marigny laissa paraître l’étonnement le plus complet.
— Monsieur Greuze s’est mis dans la tête de se faire peintre d’histoire !
— Ce n’est point ce qu’il sait faire !
— En effet. Il a pourtant apporté pour sa réception L’empereur Sévère qui reproche à Caracalla, son fils, d’avoir voulu l’assassiner .
— C’était ?
— Pire ! Il y a là d’intolérables incorrections de dessin, la couleur est triste, l’ensemble est pesant. Que dire encore ? Ce tableau est bien au-dessous de ce qu’on pouvait attendre de monsieur Greuze. Je peux vous assurer que les Académiciens ont été aussi surpris qu’affligés.
— L’avez-vous finalement reçu ?
— Le moyen de faire autrement par égard pour toutes les bonnes choses qu’il a produites ? Enfin il a fallu biaiser. Les Académiciens s’étaient répartis parpetits groupes et discutaient entre eux à voix basse. Les mines étaient défaites. Quelle affaire ! Comment refuser monsieur Greuze au prétexte que son tableau était mauvais alors qu’il a déjà produit tant de choses excellentes ?
— Le vote ?
— 24 fèves blanches et 6 noires.
— Il est donc reçu.
— L’affaire n’était pas
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