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Le rêve de Marigny

Le rêve de Marigny

Titel: Le rêve de Marigny Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Monique Demagny
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terminait pour Cochin, on allait lui reprendre « ses peintres ». C’était pour Marigny aussi la fin d’une époque où l’amitié relayait si bien les affaires courantes. La routine, l’application stricte des règlements allaient balayer l’indéfinissable part qui tenait au cœur. Le temps de la subtilité s’effaçait, les peintres ne le savaient pas encore.

Depuis quatre ans qu’elle était mariée Julie ne s’attendait plus à une grossesse et cela l’arrangeait bien. Une grossesse dure longtemps, et fatigue. L’affaire la ferait-elle vieillir déjà ? Il allait falloir lâcher toutes ses robes et de quoi aurait-elle l’air avec un ventre aussi rond que la coupole de Sainte-Geneviève qui n’était pas encore construite mais dont son époux faisait grand cas ? Les bals auraient bientôt lieu sans elle, et il viendrait sans doute un temps où elle n’oserait plus se montrer aussi laide à l’Opéra ou aux Comédiens-Italiens. Une année gâchée ! Et elle avait à peine vingt ans. Tout cela était fort injuste. Il lui faudrait sans doute se retirer un moment à Ménars, quel ennui ! Et tout se terminerait dans la douleur, c’était bien connu ! L’humeur de la jeune marquise était donc des plus désagréables, ce qui n’était pas fait pour émouvoir Marigny. Tous renseignements pris, il apparaissait que l’humeur des jeunes femmes était toujours affectée par l’attente d’un enfant. Il se fit donc aussi prévenant et attentionné que possible, ce fut sans succès, la marquise ne souhaitait pas sa tendresse. Marigny en prit-il ombrage ? S’en aperçut-il même ? Rien ne pouvait entamer son bonheur, l’impatience de voir enfin bientôt son enfant le tenait tout entier. Il en rêvait, il en parlait… à Cochin bien sûr, qui se sentit bientôt obligé de supporter les états d’âmede son directeur comme il le faisait avec ses artistes. Il en parlait aussi à Soufflot qui lui répondait Sainte-Geneviève, chacun suivant son obsession avec la même application.
    Les mois passèrent, le ventre de Julie s’arrondit et son humeur se fit si possible encore plus piquante. Marigny ne s’y attarda pas, il attendait son enfant. Au fond de lui-même il s’avouait qu’il n’avait finalement supporté tout ce fatras du mariage que dans ce seul but. Il lui fallait un enfant, et cet enfant allait naître. Un soir enfin le bébé s’annonça et Julie commença d’être prise de panique mais Abel avait tout prévu. Une sage-femme formée par madame du Coudray s’était installée depuis plusieurs jours dans la maison de la rue Saint-Thomas-du-Louvre que Julie préférait à toute autre résidence. Par précaution il avait aussi prévenu Quesnay qui avait toujours été son ami. L’attente dura la nuit entière et Julie n’était pas près d’oublier sa misère. Ce n’était qu’une raison de plus de détester son mari et son obsessionnelle attente d’un héritier. Ce fut une petite fille qui le matin venu pointa le bout d’un petit nez charmant. On s’attendait à une déception du père soucieux sans doute de transmettre son marquisat, il exulta ! Une fille ! Une jolie petite fille comme la petite Alexandrine qu’il avait tant aimée ! Il n’en ferait pas une duchesse, au grand jamais ! Il en ferait une femme cultivée, sensible au beau. Elle lirait, fréquenterait les salons, il voyagerait avec elle. Il l’emmènerait en Italie. Le rêve était plus grand que lui. La mère fut indifférente au fait que l’enfant fût une fille. Marigny n’était pas déçu ? Tant pis ! Elle exigea seulement que la petite fillefût baptisée Adélaïde comme sa marraine, la très contestable comtesse de Seran. Marigny y ajouta Jeanne et aussi Alexandrine. On baptisa Adélaïde, Jeanne, Alexandrine, dans la chapelle Sainte-Clotilde de Ménars le 29 décembre 1771 et ce fut le prince de Rohan-Soubise qui la tint sur les fonts baptismaux.

    La maternité surprenait Julie autant qu’elle la rebutait. Elle avait à peine vingt ans, une cervelle d’oiseau et un inextinguible appétit pour les plaisirs du monde. Ayant supporté les tourments d’une grossesse et les affres de l’enfantement elle se sentait quitte de son devoir. Marigny voulait un enfant ? Elle le lui avait donné, et puisqu’il semblait s’accommoder d’une fille, c’était parfait. Elle avait fait sa part, on n’y reviendrait pas. Une nourrice s’acquitterait des suites, un enfant demande des soins, et

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