Le Roi amoureux
joyeux fracas aux yeux de Denise émerveillée et de dame Dimanche suffoquée.
– Qu’est-ce là ? murmura-t-elle.
– La dot ! vociféra don Juan exaspéré. La dot ! La dot de Denise !…
– La dot ?
– Mille pistoles ! Dix mille livres ! Dix mille !
– Ho ! fit dame Dimanche. Que ne le disiez-vous plus tôt, mon digne seigneur ?
– Eh ! par l’enfer de Satan, vous ne m’avez pas laissé placer un mot. Sans quoi, vous sauriez que mon intention fut des plus louables. Le mari de Denise vous le dira lui-même.
– Le mari ? balbutia dame Dimanche, dont la tête s’égarait.
– Le mari ? répéta Denise avec curiosité.
– Quel mari ? Quel mari ? reprit la veuve. Il n’y a pas de mari !
– Il y a une dot, fit don Juan. Donc il y a un mari.
Ce raisonnement pétrifia la veuve et parut irréfutable à Denise. Dame Dimanche était d’ailleurs subjuguée par la vue des jolies pièces qui jonchaient le carreau devenu une prairie où il n’y avait qu’à se baisser pour cueillir des boutons d’or, fleurs de printemps, apaisantes fleurettes.
– Voici la dot ! dit don Juan, qui montra les pistoles – et voici le mari, ajouta-t-il, en désignant Jacquemin Corentin.
« Ah ! ah ! se dit Corentin, dégrisé. Je comprends, maintenant ! »
– C’est là le mari de la dot ? fit dame Dimanche, sans trop savoir ce qu’elle disait.
– C’est Jacquemin Corentin, dit timidement Denise.
– Je n’y comprends rien, se disait la veuve, mais la dot est là, solide et fort propre, c’est l’essentiel. Dix mille livres ! La tripière va en faire une maladie.
« La bataille de cette nuit, pensa don Juan, la bataille de l’hôtel d’Arronces à coups de dague et d’épée ne fut qu’un jeu d’enfant auprès de la bataille que je viens de soutenir et gagner à coups de mensonges. Don Juan, je t’admire… »
Et il s’essuya le front.
– Allons, Jacquemin, reprit-il, embrasse ta femme.
– Halte ! dit dame Dimanche. Le mariage fut fait en bonne et due forme, je le veux bien. Et c’est l’habitude parmi les nobles d’Espagne de procéder ainsi que vous fîtes, j’y consens, d’autant que la dot est telle que les voisines en auront la jaunisse, bien sûr. Mais nous ne sommes pas de noblesse, et nous sommes ici rue Saint-Denis…
– Vrai cœur du beau pays de France, dit Corentin.
– C’est pourquoi, continua la veuve, je prétends que les épousailles soient recommencées, et ce, par le mari lui-même présent de sa propre personne et non de la vôtre, si honorable qu’elle soit. Jusque-là, le bon drille n’embrassera pas ma fille. Il aura permission de venir deux fois la semaine dire un petit mot d’amitié à Denise.
– J’y consens, dit don Juan.
– Deux précautions valent mieux qu’une. Ma fille n’en mourra pas pour être doublement mariée.
« Ho ! songea Corentin, voilà un cas de bigamie auquel les juges n’ont pas pensé ! »
– Nous conviendrons donc du jour, acheva dame Dimanche, et retournerons à Saint-Merri une fois encore.
– Et cette fois sera la bonne, assura Jacquemin.
– Eh bien ! Corentin, reprit don Juan, puisque tu en as permission, dis un petit mot d’amitié à ta femme.
Jacquemin pâlit un peu, et ses yeux se troublèrent. Il loucha un moment vers la porte comme s’il eût quelque envie de décamper. Mais se résignant soudain au courage, il s’avança vers la jeune fille, lui prit la main, et dit :
– Denise, je ne sais si vous m’aimerez un jour, car les miroirs ne m’ont jamais renvoyé qu’une image peu propre à mériter l’amour des filles. Ce que je puis vous assurer, c’est que mon cœur, pour si humble qu’il soit, est tout plein de vous. S’il ne faut que mourir pour assurer votre bonheur, je mourrai bien volontiers. Quand vous m’aurez fait cet honneur et cette joie de devenir ma femme, je vous promets de m’employer de mon mieux à ne jamais vous faire regretter de m’avoir accepté de préférence à d’autres, sans aucun doute plus dignes de vous offrir leur vie avec leur nom…
Voilà ce que dit Jacquemin Corentin. Et ces paroles modestes mais si franches et si fermes aussi, ce fut d’un accent de vraie sensibilité qu’il les prononça, si bien que dame Dimanche s’essuya les yeux du coin de son tablier, et s’écria :
– C’est ma foi, fort bien dit. Et c’est bien plus beau que les étoiles ; les perles et les châteaux en Espagne, soit dit
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