Le Roi amoureux
le parfum puissant tout chargé de volupté que j’aspirais jadis ; buvez, buvez cette joie, buvez cette volupté, buvez cet amoureux rayon de soleil. Cher comte, vous êtes un parfait gentilhomme, j’aime votre sombre orgueil parce qu’en ses profondeurs il me semble entrevoir des fantômes qui rampent et s’enlacent, et toujours j’aime l’ami des fantômes parce qu’ils sont peut-être les seuls êtres réels de la vie. Mais laissez-moi vous le dire, cette pauvre vie, vous la prenez par trop au sérieux. J’aimerais vous voir rire, parfois, ou tout au moins sourire. Buvez, vous dis-je. Je vous jure que cette liqueur porte en elle de puissantes vertus et, si j’ose dire, des maléfices de bonheur.
Loraydan demeura tout étourdi de ce discours, si étourdi que, machinalement, il vida son verre empli de ce vin qui, en effet, se trouvait fort délectable, vu que maître Grégoire, pour le faire venir du bon endroit, ne ménageait ni temps, ni peine, ni argent.
– Seigneur Tenorio, dit Loraydan, ce vin est, en effet, digne de louange, mais vous le faites payer un peu cher…
– Qu’est-ce à dire ? se hérissa don Juan.
– En l’assaisonnant de sermons à damner le gentilhomme le plus patient. Vous êtes bavard, seigneur Tenorio !
– Eh ! cher comte, le bavardage est précisément aux entretiens ce que le vin pétillant est à un solide repas. Bavard ? Voilà, sur ma foi, une louange qui me va droit au cœur et me prouverait votre politesse raffinée, s’il était besoin de prouver chez vous cette suprême qualité de gentilhomme.
« Se moque-t-il de moi ? » songea Loraydan.
– Quoi qu’il en soit, reprit-il, permettez-moi de vous informer sans fard que je n’ai plus d’argent.
– Eh quoi ! se pourrait-il ! s’écria don Juan, qui se leva tout empressé.
– Il se peut si bien que je suis venu tout exprès vous aviser…
Mais don Juan le saisit par la main, l’entraîna dans sa chambre, et, ouvrant le coffre :
– Cher comte, dit-il, voici les quarante mille livres de la litière, intactes, c’est-à-dire allégées seulement de quelque dix mille livres dont j’eus besoin.
« Dix mille livres déjà ! se dit Loraydan. Quel bourreau d’argent est-ce là ! »
– Puisez, comte, puisez à pleines mains, poursuivit don Juan. Ne craignez pas de me laisser à sec : rien ne peut ruiner Juan Tenorio, acheva-t-il gravement, tandis que, du coin de l’œil, il surveillait le comte, se demandant avec terreur de quelle somme il allait être dépouillé.
– Vous êtes donc bien riche ? fit Loraydan, non sans une pointe de respect et d’envie.
– Ne craignez pas de me causer quelque gêne. J’ai été averti que, par un courrier rapide, mon intendant m’envoie un ou deux milliers de doublons…
– S’il en est ainsi… dit Loraydan.
« Ho ! songea don Juan. Commettrait-il bien l’infamie de me prendre au mot ? »
Et il s’apprêta à vivement refermer le coffre.
– S’il en est ainsi, acheva Loraydan, me voici sans inquiétude sur votre compte. Refermez donc votre coffre, seigneur Tenorio. Pour aujourd’hui du moins, je n’userai point de vos bons offices.
– Ce m’est un crève-cœur que de le fermer sans que vous ayez consenti à y puiser, dit don Juan.
En même temps, il refermait le coffre et s’asseyait dessus. Mais se relevant aussitôt, négligemment il ajouta :
– Je suis tout à votre service, comte, car Juan Tenorio aime à payer ses dettes…
– N’en parlons pas, dit Loraydan.
– Celle que j’ai contractée vis-à-vis de vous m’est sacrée.
– Ho ! Vraiment…
– Dette de reconnaissance, cher comte, de reconnaissance et d’amitié.
– Vous me voyez confus…
– Non pas !… Et maintenant que j’ai acquitté ma dette envers vous, je voudrais bien aussi m’acquitter vis-à-vis d’un autre.
Et don Juan, pensif, se dirigea vers la fenêtre près de laquelle il s’arrêta, et où Loraydan le rejoignit en disant d’un ton très sérieux :
– Cet autre, je n’en doute pas, sera aussi satisfait que moi de la façon dont vous vous acquittez.
– Oh ! fit don Juan avec insouciance, ce n’est plus là une dette d’argent… une dette d’épée.
– Une dette d’épée ? fit Loraydan qui dressa l’oreille.
– Oui, oui… ce brave gentilhomme, Clother de Ponthus… je dois me battre avec lui.
Loraydan pâlit.
– C’est juste, dit-il froidement. Où et quand vous rencontrez-vous
Weitere Kostenlose Bücher