Le Roi amoureux
vous dis, moi, que la statue… la statue du commandeur vous écoute !…
– Fort bien ! dit don Juan. Tu écoutes, statue du commandeur ?…
– Elle écoute ! gémit Corentin à bout de forces. Elle écoute ! Elle regarde ! Elle voit ! Elle entend !…
– Eh bien ! dit don Juan, puisque vous m’entendez, seigneur commandeur, me faites-vous la grâce d’accepter mon invitation ?…
Jacquemin Corentin jeta un cri déchirant et s’affaissa, évanoui.
Don Juan regarda la statue du commandeur.
Il recula d’un pas. Ses yeux s’exorbitèrent. Une pâleur cadavérique se plaqua sur son visage. Un effroyable soupir gonfla sa poitrine… cela dura quelques secondes.
Subitement, il reprit son sang-froid.
Autour de lui, il jeta un rapide regard. La clarté du jour avait eu la victoire, bousculé les ténèbres ; et elle occupait la chapelle. La vie, la renaissante vie des choses inanimées redonnait au monde sa rassurante apparence familière. Dehors, on entendit une dispute de moineaux autour de quelque trouvaille.
Don Juan éprouva une joie délicieuse, malgré la fatigue énorme qui l’accablait. Il murmura :
– Sur ma parole, j’ai cru un instant que cette statue levait la tête et, d’un signe grave, acceptait ma courtoise invitation. Quelle folie ! Mais, par le ciel, puisqu’il en est ainsi, je viendrai, oui, je viendrai souper ici, au nez et à la barbe du commandeur.
À ce moment, Jacquemin Corentin revenait à lui et se relevait péniblement.
– Vous avez vu ? fit-il.
– Quoi ?…
– Que la statue acceptait !… Qu’elle levait la tête !…
– Eh ! Tu pousses des cris d’orfraie, aussi ! La statue aura voulu voir quel impudent drôle venait ainsi la troubler… Allons, allons, rassure-toi, bélître, tu as pris pour une réalité ce qui n’était qu’un jeu de la lumière tremblotante qui, de ces vitraux, tombait sur la statue.
– Ah ! monsieur ! Prenez garde ! On ne joue pas impunément avec la Mort !
– Fais-moi le plaisir de garder pour toi tes réflexions saugrenues, épargne-moi tes impertinences, et suis-moi…
XIV
JARNICOTON DE JARNIDIEU DE JARNIDIABLE
Il sortit tout empressé. Près de l’entrée de l’hôtel, il aperçut Jacques Aubriot entouré de serviteurs et servantes. Ce groupe immobile mais non silencieux braquait des yeux menaçants sur la petite porte de la chapelle. À la vue de don Juan, le silence se fit soudainement ; par contre, l’immobilité se changea en un vif et désordonné mouvement de retraite à l’intérieur de l’hôtel.
– Que diable as-tu fait à ces gens ? fit don Juan. Pourquoi ont-ils peur de toi ?
– Ma foi, monsieur, dit Corentin, c’est ici le domaine de la peur. Qui sait ? Ils ont peut-être vu… ce que nous venons de voir.
Juan Tenorio haussa les épaules.
Quand il eut franchi la grille du parc, il jeta un regard vers l’emplacement où, tout d’abord, Loraydan avait disposé ses hommes sur le chemin de la Corderie, et il eut un sourire de contentement : la litière était là. Il fit signe à l’homme qui la gardait. La litière s’approcha. Don Juan jeta un coup d’œil à l’intérieur et tout aussitôt, avec satisfaction, constata que le fameux sac ne s’était pas évaporé.
– Jacquemin, fit-il, prends ce sac. Et toi, l’ami, tu peux t’en aller, dit-il à l’homme de la litière.
Et il se mit en route, vif, léger, l’œil aux aguets, frais et dispos, comme s’il eût passé la nuit la plus tranquille, comme s’il n’eût pas perdu Léonor. Et au fond de son cœur, il y avait comme une sourde douleur. Mais il s’en accommodait, comme le malade finit par vivre avec son mal après avoir signé avec lui une sorte d’armistice.
Il passa devant la Maison-Blanche…
Derrière les vitraux de l’unique fenêtre dont les volets n’étaient point fermés, il y avait une femme, belle et jeune, mais le visage ravagé par une de ces douleurs avec lesquelles il n’y a pas de composition possible…
Dona Silvia, lorsqu’elle vit passer don Juan, n’eut pas un soupir, mais un léger frisson l’agita. Et quand il eut disparu, avec son indestructible amour, avec sa foi rigide, elle murmura :
– Seigneur ! Dieu de miséricorde ! Quand me ramènerez-vous à vous ? Faites, Seigneur, faites que je meure aujourd’hui… ou alors, si vous avez décrété que je dois vivre, donnez-moi la force de sauver son âme…
Sauver l’âme de don Juan !
Allègre et
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