Le Roi amoureux
attelée et pourvue d’un conducteur. Tu auras soin de ne pas oublier mon manteau de voyage. Tu achèteras un bon cheval pour toi. Tu seras armé. À dix heures, ce soir, tu prendras mon cheval à la Devinière, et, avec la litière tu iras m’attendre près de la porte du Temple. J’y serai un peu après onze heures. As-tu bien compris ?
– Les vingt-cinq mille livres d’or, la litière tout attelée chez maître Josse. Votre manteau. Votre bai brun. Un cheval pour moi. Des armes. Dix heures devant la porte du Temple.
– Surtout, d’ici ce soir, ne te montre pas, enferme-toi à la Devinière, et ne bois pas trop.
– Monsieur, je ne bois que quand j’ai faim. Jusqu’à ce que vous soyez hors Paris, je n’aurai pas faim.
– Va donc : je compte sur toi, Bel-Argent.
– Dieu vous garde, mon gentilhomme !
Clother de Ponthus continua son chemin, suivant Pancrace et Lurot, suivi par le Fossoyeur et Joli-Frisé. Quant à Bel-Argent, il s’en retourna rue Saint-Denis où il éprouva deux surprises : la première, ce fut de voir que le logis de dame Dimanche n’avait pas été envahi par les gardes de la prévôté comme il s’y attendait ; la deuxième, ce fut de constater qu’il n’éprouvait aucun plaisir à manipuler les pistoles du coffre comme il s’y attendait également, ni la moindre envie de les escamoter.
– Faut-il que l’homme soit un être capricieux ! médita-t-il un instant. Il y a là vingt-cinq mille livres d’or, une fortune. Sur les routes du Périgord, j’eusse chargé à fond pour m’emparer d’une somme pareille. Ici, je risquerais ma peau et de grand cœur contre quiconque voudrait de cet or frustrer le sire de Ponthus. Comme on change ! C’est peut-être l’air de Paris…
Clother de Ponthus était arrivé rue de la Hache, petite rue longue à peine de deux cents pas et assez étroite pour que trois cavaliers n’y pussent passer de front, rue bordée de maisons propres et silencieuses, à physionomie presque monacale, gracieuses tout de même avec leurs portes cintrées, leurs fenêtres ogivales, leurs motifs de décoration où dominaient la volute et l’acanthe. C’était l’un des coins les plus paisibles de Paris, et le cabaret du Porc-qui-Pique avec sa tapageuse et menaçante enseigne, y produisait l’effet d’un reître égaré parmi des nonnes.
L’hôtesse de céans se nommait Alcyndore.
Elle avait dépassé la trentaine, mais elle était de ces femmes chez qui la ligne demeure svelte et ignore l’âge. Quant à sa figure, elle n’était pas belle, peut-être, mais jolie et séduisante, d’une joliesse tourmentée, et elle avait des yeux magnifiques, mais d’une inquiétante, d’une étrange fixité. Il n’y avait jamais dans ces yeux-là le moindre reflet d’un sentiment de joie ou de tristesse. Elle riait souvent, et aux éclats, ce qui lui permettait de montrer une double rangée de dents parfaitement blanches, aiguës et petites, mais les yeux ne riaient pas. Elle pleurait quelquefois, la figure dans son tablier de soie, mais il n’y avait dans ses yeux ni larmes ni ennui.
Elle était toujours fardée, avec une science incomparable, et elle avait un art, à elle, d’arranger son abondante chevelure fauve.
Qu’on se figure donc Alcyndore, en corsage de velours éclatant, très décolleté, en jupe de soie, couverte de bijoux d’un modèle suranné mais fort beaux, qui lui venaient on ne savait d’où ni de qui, un collier de rubis au cou, les doigts chargés de bagues, qu’on se la figure avec son éternel sourire de ses lèvres rouges et ses yeux qui ne souriaient pas, qu’on se la figure attifée comme une princesse, étincelante de pierreries et saisissant la poêle dans laquelle elle va faire sauter une omelette sur le grand feu clair de l’immense cheminée.
Alcyndore était accueillante à tous, à tout venant, quel qu’il fût, pauvre ou riche, au sacripant loqueteux comme au gentilhomme enrubanné, oui, à tous… excepté aux exempts, mouches, sergents de la prévôté ou du guet.
L’espion pouvait prendre tel déguisement qui lui semblait indéchiffrable.
Alcyndore considérait l’espion une petite minute et perçait le déguisement à jour.
Elle attendait que l’espion demandât à boire. Alors elle s’approchait, et, souriante, disait simplement :
– Il faut t’en aller, l’ami.
L’homme se rebiffait-il, en appelait-il à son droit formel d’entrer dans une taverne ouverte à tous,
Weitere Kostenlose Bücher