Le Roi amoureux
Croixmart, monsieur, c’est l’ami du comte de Loraydan, et c’est le grand prévôt ! Gardez-vous, croyez-moi, gardez-vous !
– Ainsi ferai-je, dit Ponthus assombri.
Puis Clother secoua la tête. Il lui parut que tant de bonheur qui venait de le pénétrer ne pouvait se dissiper comme une vaine fumée. Il lui sembla qu’il était de taille à défendre ce bonheur envers et contre tous, fût-ce contre le roi, et même contre le grand prévôt.
– Allons, fit-il joyeusement, tu es un bon garçon, prends ceci…
Brisard saisit les trois ou quatre pistoles qu’on lui tendait. Ponthus s’en alla tout heureux.
– Ça ne m’étonne plus, fit Brisard qui, instantanément se dirigea vers le cabaret, ça ne m’étonne plus si je ne trouvais rien dans le chemin en regardant voir si je ne voyais pas quelque pauvre écu sans maître. Dorénavant, je regarderai voir si je ne vois pas de pistoles…
Clother de Ponthus gagna la rue Saint-Denis.
Comme il allait entrer dans le logis de la dame Dimanche, il vit venir à lui, tout courant, son valet Bel-Argent suivi par deux grands diables d’escogriffes qui fleuraient d’une lieue le franc-bourgeois de la cour des Miracles.
– Que sont ceux-là ? demanda Clother.
– Monsieur, ils étaient à l’hôtel d’Arronces la nuit de la bataille, dit Bel-Argent.
– Ah ! ah !… Ce sont ces braves ? Monte là-haut, ouvre le coffre et descends-en une bonne poignée de pistoles…
– Monsieur, disait Bel-Argent, le seigneur de Loraydan a indiqué au grand prévôt que c’est ici, dans le logis de dame Dimanche, en face de la Devinière, qu’on vous trouvera. Dans une heure il faut que vous soyez enfermé au Temple. Monsieur, ils ont dit : dans une heure, et l’heure est écoulée ! Si vous tenez à la vie, ne restez pas ici !
Clother eut un sourire terrible.
Mais il dompta la crise qui voulait se déchaîner, crise de fureur, crise de rage, crise de désespoir.
Rapidement et froidement, il calcula ses chances. Rester, c’était la bataille, et dans la bataille, la possibilité enfin, d’un corps à corps avec Loraydan – la possibilité de tenir Loraydan – de l’avoir face à face – ne fût-ce qu’une minute !
Oui, mais rester, c’était abandonner Léonor. Pris ou tué, que devenait Léonor ? Seule aux prises avec le génie du mal, que pouvait-elle ?
Clother frémit.
– Venez, monsieur, venez ! Je vous dis que l’heure est écoulée !
– Et le Porc-qui-pique est un asile, un vrai ! dit Pancrace.
– Et il tue les mouches à cent pas ! dit Lurot.
– Allons ! fit brusquement Clother.
Ils se mirent en route. L’homme à la cicatrice et l’homme qui n’avait pas froid aux yeux marchaient devant. Puis venait Clother. Bel-Argent formait l’arrière-garde.
Et derrière Bel-Argent venaient Joli-Frisé et le Fossoyeur, marchant en bons badauds parisiens qui s’en vont au hasard.
– Dis donc, disait le Fossoyeur, tu n’as pas entendu ? Il paraît que le Porc-qui-Pique tue les mouches à cent pas ? Nous sommes des mouches, nous.
– Oh ! répondit Joli-Frisé, Alcyndore n’est point si cruelle. Et, d’ailleurs, s’ils vont chez elle et qu’ils entrent au Porc-qui-pique, nous n’en approcherons qu’à cent vingt pas.
– Tiens ! comme c’est simple ! Je n’y pensais pas, sur ma foi ! Je suis si bête…
Le Fossoyeur soupira, désespéré de sa bêtise. Il avait si souvent répété qu’il était bête, que tout le monde, autour de lui, avait fini par le croire, – excepté le grand prévôt.
Lurot et Pancrace parlaient du coffre et calculaient combien il peut y avoir de pintes d’hydromel dans une poignée de pistoles.
Lorsqu’ils furent sortis de la rue Saint-Denis, il leur sembla que tout danger était écarté. Bel-Argent se rapprocha du sire de Ponthus pour lui expliquer comment il avait pu suivre Loraydan chez le grand prévôt. Ponthus l’écoutait attentivement. Puis :
– Tu seras récompensé, n’en doute pas.
– Je le suis, monsieur, je le suis !
– Bel-Argent, tu vas me quitter ici. Tu te rendras chez dame Dimanche qui te remettra deux mille livres. Elles sont à toi.
– Deux mille livres ! Que vais-je devenir, Seigneur !
– Écoute bien. Tu prendras dans le coffre une somme de vingt-cinq mille livres d’or que j’y ai déposée. Tu la porteras chez maître Josse, le voiturier de la rue Saint-Denis, et la déposeras dans la litière que j’ai acquise tout
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