Le roi d'août
plusieurs dizaines de milliers de fantassins qui s'observaient ainsi sous le soleil en cuisant déjà à petit feu sous leur haubert – ceux qui avaient la chance d'en porter un. Chevaliers de haute naissance au destrier et à l'armure hors de prix, sergents et chevaliers pauvres, à l'armure rapetassée, au casque à nasal, bourgeois de Flandre ou des milices communales françaises, bien équipés mais dépourvus d'entraînement martial, paysans armés d'une houe et coiffés d'un pot de fer : les troupes s'étaient déployées sur deux fronts longs de trois quarts de lieue.
L'empereur s'était réservé le centre. Sa bannière à l'aigle et au dragon flottait sur un char magnifique, traîné par quatre chevaux. Revêtu d'une armure dorée, flanqué de ses meilleurs chevaliers, précédé de ses fantassins auxquels venaient s'ajouter les milices flamandes, Otton avait réclamé le privilège de prendre place au plus près du roi de France, afin de le tuer de ses mains. Privilège que seule sa dignité impériale lui avait permis de ravir à Renaud de Dammartin.
Son plan était simple : s'enfoncer tel un coin au cœur de l'armée française et la couper en deux : la tailler en pièces ne serait alors plus qu'une formalité.
Ferrand de Flandre formait l'aile gauche coalisée avec sa cavalerie. L'aide droite, au plus près de la rivière, se composait des chevaliers et mercenaires anglais commandés par Renaud, Guillaume Longue-Épée et le seigneur brigand Hugues de Boves.
Face à eux, les ennemis naturels du comte de Boulogne – l'évêque de Beauvais et son frère Robert de Dreux – se tenaient prêts à leur résister. Le prélat s'était assagi avec l'âge mais il sentait en cette occasion remonter ses instincts belliqueux : puisque Jean sans Terre l'avait naguère ironiquement libéré de prison sous la promesse qu'il ne verserait plus le sang, il avait troqué son épée contre une masse d'armes : il ne se contenterait pas de bénir ses hommes avant le combat.
Au centre des lignes françaises, retranché derrière les milices communales à pied, Philippe se tenait à la tête de la chevalerie française et normande, encadré de ses fidèles : Guillaume des Barres, Barthélémy de Roye et les autres. Derrière lui, son chapelain Guillaume le Breton et un deuxième clerc entonneraient les psaumes qui appelleraient la grâce de Dieu sur leurs soldats.
Le roi, en ce jour, combattrait tel un simple chevalier, laissant le commandement suprême au frère Guérin que son âge avancé et sa récente élection à l'évêché de Senlis empêchaient de prendre une part plus directe au combat : l'Hospitalier n'avait pas quant aux commandements religieux la même désinvolture que son homologue de Beauvais. D'ailleurs, il n'était pas armé.
Guérin, donc, se tenait sur la droite, avec l'élite : chevalerie champenoise, bourguignonne, picarde, sergents à cheval… tous originaires des fiefs les plus directement menacés par la coalition, portant le souvenir collectif millénaire d'invasions venues du Nord ou de l'Est. Nul mieux qu'eux n'eût été susceptible d'affronter les chevaliers flamands.
Si l'Hospitalier avait choisi de se placer là et non auprès du roi, c'était que là, selon lui, se jouerait en grande partie le sort de la bataille : de ce seul côté, à l'Est, le terrain était dégagé ; la rivière à l'Ouest, des marais et des forêts au Nord et au Sud, interdisaient toute retraite ; le corps des massiers royaux, au grand complet, gardait le pont sur la Marcq – pour empêcher l'ennemi de s'en emparer ou l'ami de s'enfuir. Celle des deux armées qui prendrait l'avantage sur le flanc est aurait loisir d'enfermer l'autre, de l'acculer contre un terrain impraticable et de lui interdire toute liberté de manœuvre.
Guérin, Philippe l'avait bien compris, était plus qualifié que quiconque pour commander : seul, peut-être, de tous les nobles chevaliers réunis dans la plaine, il avait déjà participé à des batailles rangées, en Terre Sainte. Le roi de France, lui, n'avait jamais connu que sièges et escarmouches, mais sa fierté, par bonheur, ne lui interdisait pas de s'effacer devant plus compétent que lui. En outre, il lui plaisait de n'être pour une fois qu'un guerrier parmi les autres, qu'un baron parmi d'autres barons – le plus puissant, sans doute, le plus noble, mais uniquement parce que ses pairs en décidaient ainsi. Toute sa vie, il avait travaillé à saper le
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