Le Roi de fer
bien de l’esprit, dit
Tolomei en riant. Figurez-vous qu’hier matin, Monseigneur…
Il allait raconter l’histoire
lorsqu’on frappa à la porte. Un commis parut, annonçant que le comte Robert
d’Artois demandait à être reçu.
— Bien. Je vais le voir, dit
Tolomei en renvoyant du geste son commis.
Jean de Marigny s’était rembruni.
— Je préférerais… ne pas le
rencontrer, dit-il.
— Certes, certes, répondit le
banquier avec douceur. Monseigneur d’Artois est un grand parleur.
Il agita une clochette. Une tenture
s’écarta aussitôt et un jeune homme en justaucorps serré pénétra dans la pièce.
C’était le garçon qui, la veille, avait failli renverser le roi de France.
— Mon neveu, lui dit le
banquier, reconduis Monseigneur sans passer par la galerie, en veillant à ce
qu’il ne rencontre personne. Et porte-lui ceci jusqu’à la rue, ajouta-t-il en
lui mettant les deux sacs d’or dans les bras. À vous revoir, Monseigneur !
Messer Spinello Tolomei s’inclina
bien bas pour baiser l’améthyste au doigt du prélat. Puis il souleva la
tenture.
Lorsque Jean de Marigny fut sorti,
le Siennois revint vers la table, prit le reçu signé, le plia soigneusement.
— Coglione ! murmura-t-il.
Vanesio, ladro, ma sopratuttocoglione.
Son œil gauche un instant s’était
ouvert. Ayant serré le document dans le coffre, il quitta la pièce à son tour,
pour accueillir son autre visiteur.
Il descendit au rez-de-chaussée et
traversa la grande galerie, éclairée par six fenêtres, où étaient installés ses
comptoirs ; car Tolomei n’était pas seulement banquier, mais aussi
importateur et marchand de denrées rares, depuis les épices et les cuirs de
Cordoue jusqu’aux draps de Flandre, aux tapis de Chypre brodés d’or, aux
essences d’Arabie.
Une dizaine de commis s’occupaient
des clients qui entraient et sortaient sans cesse ; les comptables
faisaient leurs calculs, à l’aide d’échiquiers spéciaux sur les cases desquels
ils empilaient des jetons de cuivre ; et la galerie entière résonnait du
sourd bourdonnement du commerce.
Tout en avançant rapidement, le gros
Siennois saluait quelqu’un, rectifiait un chiffre, houspillait un employé ou
faisait refuser, d’un niente prononcé entre les dents, une demande de
crédit.
Robert d’Artois était penché sur un
comptoir d’armes du Levant et soupesait un lourd poignard damasquiné.
Le géant se retourna d’un mouvement
brusque quand le banquier lui posa la main sur le bras, et prit cet air rustre
et jovial qu’il affectait généralement.
— Alors, Monseigneur, lui dit
Tolomei, besoin de moi ?
— Ouais, fit le géant. Deux
choses à vous demander.
— La première, j’imagine, c’est
de l’argent ?
— Chut ! grogna d’Artois.
Est-ce que tout un chacun doit savoir, usurier de mes tripes, que je vous dois
des fortunes ? Allons causer chez vous.
Ils sortirent de la galerie. Une
fois dans son cabinet, au premier étage, et la porte refermée, Tolomei
dit :
— Monseigneur, si c’est pour un
nouveau prêt, je crains que ce ne soit plus possible.
— Pourquoi ?
— Cher Monseigneur Robert,
répliqua posément Tolomei, quand vous avez fait procès à votre tante Mahaut
pour l’héritage du comté d’Artois, c’est moi qui ai payé les frais. Ce procès,
vous l’avez perdu.
— Mais je l’ai perdu par
infamie, vous le savez bien ! s’écria d’Artois. Je l’ai perdu par les
intrigues de cette chienne de Mahaut… qu’elle en crève !… On lui a donné
l’Artois, pour que la Franche-Comté, par sa fille, revienne à la couronne.
Marché de coquins. Mais en vraie justice, je devrais être pair du royaume et le
plus riche baron de France. Et je le serai, vous m’entendez Tolomei, je le
serai !
Et, de son poing énorme, il frappait
la table.
— Je vous le souhaite, dit
Tolomei toujours calme. Mais en attendant, vous avez perdu votre procès.
Il avait abandonné ses manières
d’église, et en usait avec d’Artois bien plus familièrement qu’avec
l’archevêque.
— J’ai quand même reçu la châtellenie
de Conches et la promesse du comté de Beaumont-le-Roger, avec cinq mille livres
de revenus, répondit le géant.
— Mais votre comté n’est
toujours pas constitué, et vous ne m’avez rien remboursé. Au contraire.
— Je n’arrive point à me faire
verser mes revenus. Le Trésor me doit les arrérages de plusieurs années…
— … dont vous
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