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Le Roi de fer

Le Roi de fer

Titel: Le Roi de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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m’avez
engagé une bonne part. Il vous a fallu de l’argent pour réparer les toitures de
Conches et les écuries…
    — Elles avaient brûlé, dit
Robert.
    — Bon. Et puis il vous a fallu encore
de l’argent pour entretenir vos partisans en Artois…
    — Et que ferais-je sans
eux ? C’est grâce à ces féaux amis, à Fiennes, à Souastre, à Caumont et
aux autres, que je gagnerai ma cause un jour, et les armes à la main s’il le
faut… Et puis dites-moi, messer banquier…
    Et le géant changea de ton, comme
s’il en avait assez de jouer les écoliers qu’on semonce. Il prit le banquier
par la robe, entre le pouce et l’index, et commença de le soulever, doucement.
    — … Dites-moi donc… vous
m’avez payé mon procès, mes écuries, mes partisans, soit. Mais n’avez-vous pas
fait quelques bonnes petites recettes grâce à moi ? Qui donc vous a
annoncé voici sept ans que les Templiers allaient être piégés comme lapins en
garenne, et vous a conseillé de leur faire quelques emprunts que vous n’avez
jamais eu à leur rendre ? Qui donc vous a averti des rognages de monnaie,
ce qui vous a permis de mettre tout votre or en marchandises, que vous avez
revendues avec un tiers de gain ? Hein ! Qui donc ?
    Les traditions de la finance sont
éternelles, et toujours la haute banque eut ses informateurs auprès des
gouvernements. Le principal informateur de messer Spinello Tolomei était le
comte Robert d’Artois, parce que celui-ci était l’ami et le commensal de
Monseigneur le frère du roi, Charles de Valois, qui siégeait au Conseil étroit
et lui racontait tout.
    Tolomei se dégagea, défroissa le pli
de sa robe, sourit, et dit, la paupière gauche toujours close :
    — Je reconnais, Monseigneur, je
reconnais. Vous m’avez quelquefois bien utilement renseigné. Mais hélas…
    — Quoi, hélas ?
    — Hélas ! Les bénéfices
que vous m’avez fait faire sont loin de couvrir les sommes que je vous ai
avancées.
    — Est-ce vrai ?
    — C’est vrai, Monseigneur, dit
Tolomei de l’air le plus innocent et le plus profondément désolé.
    Il mentait, et il était sûr de
pouvoir le faire impunément, car Robert d’Artois, s’il était habile à
l’intrigue, s’entendait peu aux calculs d’argent.
    — Ah ! fit ce dernier,
dépité.
    Il se gratta la couenne, balança le
menton de droite à gauche.
    — Tout de même, les Templiers…
Vous devez être bien content, ce matin ? demanda-t-il.
    — Oui et non,
Monseigneur ; oui et non. Depuis longtemps déjà ils ne faisaient plus tort
à notre négoce. À qui va-t-on s’en prendre, maintenant ? À nous autres,
aux Lombards, comme on dit… Le métier de marchand d’or n’est point facile. Et
pourtant, sans nous, rien ne pourrait se faire… À propos, ajouta Tolomei,
Monseigneur de Valois vous a-t-il appris si l’on allait encore changer le cours
de la livre parisis comme je l’ai entendu assurer ?
    — Non, non ; rien de tel…
Mais cette fois, dit d’Artois qui suivait son idée, je tiens Mahaut. Je tiens
Mahaut parce que je tiens ses filles et sa cousine. Et je vais les étrangler…
crac… comme de malfaisantes belettes !
    La haine lui durcissait les traits
et lui dessinait un masque presque beau. Il s’était de nouveau rapproché de
Tolomei. Celui-ci pensait : « Cet homme-là, pour sa vengeance, est
capable de n’importe quoi… De toute façon, je suis décidé à lui prêter encore
cinq cents livres…» Puis il dit :
    — De quoi s’agit-il ?
    Robert d’Artois baissa la voix. Ses
yeux brillaient.
    — Les petites catins ont des
amants, et depuis cette nuit j’en sais les noms. Mais silence ! Je ne veux
point donner l’éveil… pas encore.
    Le Siennois se mit à réfléchir. On
le lui avait déjà dit ; il ne l’avait pas cru.
    — En quoi cela peut-il vous
servir ? demanda-t-il.
    — Me servir ? s’écria
d’Artois. Mais voyons, banquier, vous imaginez la honte ? La future reine
de France et ses belles-sœurs, pincées comme des ribaudes avec leurs
freluquets… C’est scandale jamais ouï ! Les deux familles de Bourgogne
sont plongées dans cette crotte jusqu’à la gueule ; Mahaut perd tout
crédit à la cour ; les mariages sont dissous ; les héritages
disparaissent des espoirs de la couronne ; je requiers alors reprise de
mon procès, et je le gagne !
    Il marchait de long en large et ses
pas faisaient vibrer le plancher, les meubles, les objets.
    — Et c’est

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