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Le Roi de fer

Le Roi de fer

Titel: Le Roi de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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ne sommes pas trop mal placés auprès des souverains d’Angleterre.
Quand le roi Edouard est venu l’année passée, avec Madame Isabelle, il a
emprunté à nos compagnies vingt mille livres que nous nous sommes associés pour
lui fournir, et qu’il ne nous a pas encore rendues.
    — Lui aussi ? s’écria
d’Artois. À propos, banquier, et cette… première chose que je venais vous
demander ?
    — Ah ! Je ne vous
résisterai jamais, Monseigneur, dit Tolomei en soupirant.
    Et il alla prendre dans le coffre un
sac qu’il remit à d’Artois en ajoutant :
    — Cinq cents livres. C’est tout
ce que je puis. Nous marquerons cela à votre compte, ainsi que le voyage de
votre messager.
    — Ah ! banquier, banquier,
s’écria d’Artois, avec un grand sourire qui illumina son visage, tu es un ami.
Quand j’aurai repris mon comté paternel, je ferai de toi mon argentier.
    — J’y compte bien, Monseigneur,
dit l’autre en s’inclinant.
    — Et sinon, je t’emmènerai avec
moi dans l’Enfer pour que tu m’achètes les faveurs du Diable.
    Et le géant sortit, trop large pour
la porte, en faisant sauter le sac d’or comme une balle dans sa paume.
    — Vous lui avez encore donné de
l’argent, mon oncle ? dit Guccio en hochant la tête avec réprobation. Vous
aviez pourtant bien dit…
    — Guccio mio, Guccio mio,
répondit doucement le banquier (et maintenant il avait les deux yeux bien
ouverts), rappelle-toi toujours ceci : les secrets des grands de ce monde
sont l’intérêt de l’argent que nous leur prêtons. Dans ce même matin,
Monseigneur Jean de Marigny et Monseigneur d’Artois m’ont donné sur eux des lettres
de crédit qui valent plus que de l’or, et que nous saurons négocier en leur
temps. Quant à l’or… nous allons en rattraper un peu.
    Il resta pensif un instant et
reprit :
    — En revenant d’Angleterre, tu
feras un détour. Tu passeras par Neauphle-le-Vieux.
    — Bien, mon oncle, répondit
Guccio sans enthousiasme.
    — Notre commis de là-bas
n’arrive pas à recouvrir une créance que nous avons sur les châtelains de
Cressay. Le père vient de mourir. Les héritiers refusent de payer. Il semble
qu’ils n’aient plus rien.
    — Et comment faire, s’ils n’ont
plus rien ?
    — Bah ! Ils ont des murs,
ils ont une terre, ils ont peut-être des parents. Ils n’ont qu’à emprunter
ailleurs de quoi nous rendre. S’ils ne peuvent, tu vas voir le prévôt de
Montfort, tu fais saisir, tu fais vendre. C’est dur, je sais. Mais un banquier
doit s’habituer à être dur. Pas de pitié pour les petits clients, sinon nous ne
pourrions plus servir les gros. À quoi penses-tu, figliomio ?
    — À l’Angleterre, mon oncle,
répondit Guccio. Le retour par Neauphle lui paraissait une corvée, mais qu’il
acceptait de bon gré ; toute sa curiosité, tous ses rêves d’adolescent
étaient déjà tournés vers Londres. Il allait traverser la mer pour la première
fois… La vie de marchand lombard était décidément une vie agréable, et qui
ménageait de belles surprises. Partir, courir les routes, porter aux princes
des messages secrets…
    Le vieil homme contempla son neveu
avec un air de profonde tendresse. Guccio était la seule affection de ce cœur
rusé et usé.
    — Tu vas faire un beau voyage,
et je t’envie, dit-il. Peu de gens à ton âge ont l’occasion de voir autant de
pays. Instruis-toi, fouine, furète, regarde tout, fais parler et parle peu.
Prends garde à qui t’offre à boire ; ne donne pas aux filles plus d’argent
qu’elles ne valent, et veille bien à te découvrir devant les processions… Et si
tu croises un roi sur ton chemin, fais en sorte qu’il ne m’en coûte pas cette
fois un cheval ou un éléphant.
    — Est-il vrai, mon oncle,
demanda Guccio en souriant, que Madame Isabelle est aussi belle qu’on le
dit ?
     

II

LA ROUTE DE LONDRES
    Certaines gens rêvent toujours de
départs et d’aventures pour se donner, aux yeux des autres et d’eux-mêmes, des
manières de héros. Puis, quand ils sont au milieu de l’affaire et qu’un péril
survient, ils se mettent à penser : « Quelle sottise m’a donc poussé,
et qu’avais-je besoin de venir me fourrer où je suis ? » C’était tout
juste le cas du jeune Guccio Baglioni. Il n’avait rien tant désiré que de
connaître la mer. Mais maintenant qu’il était dessus, il aurait payé fort cher
pour être ailleurs.
    On se trouvait en pleines marées
d’équinoxe,

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