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Le Roi de fer

Le Roi de fer

Titel: Le Roi de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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et les navires n’avaient guère été nombreux ce jour-là à lever
l’ancre. Faisant un peu le fendant sur les quais de Calais, la dague au côté et
le manteau rejeté sur l’épaule, Guccio avait enfin trouvé un patron de bateau
qui voulût bien l’embarquer. Ils étaient partis au soir, et la tempête s’était
levée presque à la sortie du port. Enfermé dans un réduit ménagé sous le pont,
près du grand mât… « C’est l’endroit où cela bouge le moins », avait
dit le patron… et où un bat-flanc de bois servait de couchette, Guccio était en
train de passer la pire nuit de sa vie.
    Les vagues frappaient comme à coups
de bélier contre le bateau, et Guccio sentait le monde basculer autour de lui.
Il roulait du bat-flanc sur le plancher et se débattait longuement dans une
obscurité totale, tantôt heurtant la charpente et tantôt les paquets de
cordages durcis par l’eau. La coque semblait sur le point d’éclater. Entre deux
halètements de la tempête, Guccio entendait les voiles claquer et des masses
d’eau s’effondrer sur le pont. Il se demandait si tout l’équipage n’avait pas
été balayé, et s’il n’était pas seul survivant à bord d’un navire désemparé que
le flot lançait contre le ciel pour le rejeter aussitôt vers les abîmes.
    « Sûrement je vais mourir, se
disait Guccio. Comme c’est sot de mourir de la sorte, à mon âge, englouti au
milieu de la mer. Jamais je ne reverrai Paris, ni Sienne, ni ma famille, jamais
je ne reverrai le soleil. Si seulement j’avais attendu un jour ou deux à
Calais ! Quelle sottise ! Mais si j’en ressers, par la Madone, je
reste à Londres, je me fais débardeur, faquin, n’importe quoi, mais jamais je
ne repose le pied sur un bateau. »
    Enfin, il entoura des deux bras le
pied du grand mât et, à genoux dans le noir, cramponné, tremblant, l’estomac
malade, les vêtements trempés, il attendit sa fin en promettant des ex-voto à
Santa Maria delle Nevi, à Santa Maria della Scala, à Santa Maria dei Servi, à
Santa Maria del Carmine, autant dire à toutes les églises de Sienne qu’il
connaissait.
    Avec l’aube, la tempête se calma.
Guccio, épuisé, regarda autour de lui : les caisses, les voiles, les
prélarts, les ancres et les cordages s’entassaient dans un effrayant
désordre ; au fond du bateau, sous le plancher disjoint, une nappe d’eau
clapotait.
    La trappe qui donnait accès au pont
s’ouvrit, et une voix rude cria :
    — Holà ! Signor !
Avez-vous pu dormir ?
    — Dormir ? répondit Guccio
sur un ton plein de rancune. Je pourrais aussi bien être mort.
    On lui lança une échelle de corde et
on l’aida à se hisser sur le pont. Un grand souffle froid l’enveloppa et le fit
frissonner sous ses vêtements mouillés.
    — Vous ne pouviez donc pas
m’avertir qu’on aurait une tempête ? dit Guccio au patron du bâtiment.
    — Bah ! mon gentilhomme,
il est vrai que nous avons eu une mauvaise nuit. Mais vous sembliez si pressé…
Et puis pour nous, vous savez, c’est chose courante, répondit le patron.
Maintenant nous sommes près de la côte.
    C’était un vieil homme robuste, au
poil gris ; il regardait Guccio de manière un peu goguenarde.
    Tendant le bras vers une ligne
blanchâtre qui sortait de la brume, il ajouta :
    — C’est Douvres, là-bas.
    Guccio soupira, en serrant contre
lui son manteau.
    — Dans combien de temps
arriverons-nous ?
    L’autre haussa les épaules et
répondit :
    — Deux ou trois heures, pas
plus, car le vent souffle du Levant.
    Sur le pont, trois matelots étaient
étendus, recrus de fatigue. Un autre, accroché au timon du gouvernail, mordait
dans un morceau de viande salée, sans quitter des yeux la proue du navire et la
côte d’Angleterre.
    Guccio s’assit auprès du vieux
marin, à l’abri d’une petite cloison de planches qui coupait le vent, et,
malgré le jour, le froid et la houle, il tomba endormi.
    Lorsqu’il se réveilla, le port de
Douvres étalait devant lui son bassin rectangulaire et ses rangées de maisons
basses aux murs grossiers, aux toits chargés de pierres. À droite de la passe
se détachait la demeure du shérif, gardée par des hommes en armes. Le quai,
encombré de marchandises empilées sous des auvents, grouillait d’une foule
bruyante. La brise charriait des odeurs de poisson, de goudron et de bois
pourri. Des pêcheurs circulaient, traînant leurs filets et portant leurs
lourdes rames sur l’épaule. Des

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