Le Roi de fer
favorite, le pique-bouquet du roi ! Non ; je parle de Hugh
Le Despenser le père. Son influence est plus secrète, mais elle est grande. Il
se sert habilement de la bougrerie de son fils, et si les choses continuent
comme elles vont, il est en passe de commander au royaume.
— Mais, dit Guccio, c’est la
reine qu’il me faut voir, non le roi.
— Mon jeune cousin, répondit
Albizzi avec un sourire, ici comme ailleurs se trouvent des gens qui,
n’appartenant ni à un parti ni à l’adverse, profitent des deux en jouant de
l’un sur l’autre. Je sais ce que je puis faire.
Il appela son secrétaire et écrivit
rapidement quelques lignes sur un papier qu’il scella.
— Vous irez à Westmoutiers ce
jour d’hui, après dîner, mon cousin, dit-il une fois qu’il eut expédié le
secrétaire porteur du billet. Je pense que la reine vous donnera audience. Vous
serez pour tous un marchand de pierres précieuses et d’orfèvrerie, venu exprès
d’Italie et recommandé par moi. En présentant vos bijoux à la reine, vous
pourrez lui remettre votre message.
Il alla vers un coffre, l’ouvrit, et
en tira une grande boîte plate de bois précieux à ferrures de cuivre.
— Voici vos lettres de créance,
ajouta-t-il.
Guccio souleva le couvercle. Des
bagues, des agrafes et fermaux, des perles montées en pendentifs, un collier
d’émeraudes et de rubis reposaient sur un lit de velours.
— Et si la reine voulait
acquérir un de ces joyaux, que ferais-je ?
Albizzi sourit.
— La reine ne vous achètera
rien directement, car elle n’a pas d’argent avoué, et l’on surveille sa
dépense. Si elle désire une chose, elle me le laissera savoir. Je lui ai fait
confectionner, le mois passé, trois aumônières qui me sont dues encore.
Après le repas, dont Albizzi
s’excusa qu’il fût menu d’ordinaire mais qui était digne d’une table de baron,
Guccio se rendit à Westminster. Il était accompagné d’un valet de la banque,
sorte de garde du corps, taillé en buffle, et qui portait le coffret lié à sa
ceinture par une chaîne de fer.
Guccio avançait, le menton levé,
avec un grand air de fierté, et contemplait la ville comme s’il allait le
lendemain en être propriétaire.
Le palais, imposant par ses
proportions gigantesques, mais surchargé de fioritures, lui parut d’assez
mauvais goût comparé à ce qui se construisait en Toscane, et particulièrement à
Sienne, dans ces années-là. « Ces gens manquent déjà de soleil, et il
semble qu’ils fassent tout pour empêcher de passer le peu qu’ils en ont »,
pensa-t-il.
Il arriva par l’entrée d’honneur.
Les hommes du corps de garde se chauffaient autour de grosses bûches. Un écuyer
s’approcha.
— Signor Baglioni ? Vous
êtes attendu. Je vais vous conduire, dit-il en français.
Toujours escorté du valet qui
portait le coffret à bijoux, Guccio suivit l’écuyer. Ils traversèrent une cour
entourée d’arcades, puis une autre, puis gravirent un large escalier de pierre
et pénétrèrent dans les appartements. Les voûtes étaient très hautes,
étrangement sonores. À mesure qu’il avançait à travers une succession de salles
glacées et sombres, Guccio s’efforçait en vain de conserver sa belle assurance,
mais il avait l’impression de rapetisser. Il vit un groupe de jeunes hommes
dont il distingua les riches costumes brodés, les cottes garnies de
fourrure ; au flanc gauche de chacun brillait la poignée d’une épée.
C’était la garde de la reine.
L’écuyer dit à Guccio de l’attendre
et le laissa là, parmi les gentilshommes qui le considéraient d’un air narquois
et échangeaient des remarques qu’il n’entendait pas.
Soudain Guccio se sentit gagné par
une inquiétude sourde. Si quelque imprévu allait se produire ? Si dans
cette cour qu’il savait déchirée d’intrigues, il allait passer pour
suspect ? Si, avant qu’il n’ait vu la reine, on se saisissait de lui, on
le fouillait, on découvrait le message ?
Quand l’écuyer, revenant le
chercher, lui toucha la manche, il sursauta. Il prit le coffret des mains du
serviteur d’Albizzi ; mais, dans sa hâte, il oublia que le coffret était
attaché à la ceinture du porteur, lequel fut projeté en avant. La chaîne
s’embrouilla. Il y eut des rires, et Guccio éprouva l’irritation du ridicule.
Si bien qu’il entra chez la reine humilié, empêtré, confus, et qu’il se trouva
devant elle avant même de l’avoir vue.
Isabelle
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