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Le Roi de fer

Le Roi de fer

Titel: Le Roi de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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d’un bref
mouvement de tête, et Guccio comprit qu’entre une arrière-petite-fille de
Monseigneur Saint Louis et le neveu d’un banquier toscan il y avait des
distances qui ne se franchissaient point.
    À voix bien haute, afin que la
Despenser entendît, Isabelle prononça :
    — Je vous ferai connaître par
Albizzi ce que je déciderai concernant ce fermail. Adieu, messer. Et elle le
congédia du geste.
     

IV

LA CRÉANCE
    En dépit de la courtoisie d’Albizzi,
qui lui offrait de demeurer quelques jours, Guccio quitta Londres dès le
lendemain, assez mécontent de lui-même. Il avait pourtant parfaitement rempli
sa mission, et sur ce point ne méritait que des éloges. Mais il ne se
pardonnait pas, lui, libre citoyen de Sienne, et qui par là se jugeait l’égal
de tout gentilhomme sur la terre, de s’être à ce point laissé troubler par une
présence royale. Car il aurait beau faire, il ne pourrait jamais se cacher que
la parole lui avait manqué lorsqu’il s’était trouvé devant la reine
d’Angleterre, laquelle ne l’avait même pas honoré d’un sourire. « C’est
une femme comme une autre après tout ! Qu’avais-je donc à si fort
trembler ? » se répétait-il avec humeur. Mais il se disait cela alors
qu’il était bien loin de Westminster.
    N’ayant pas, comme à l’aller,
rencontré de compagnon, il cheminait seul, remâchant son dépit. Cet état
d’esprit ne le quitta pas de tout le voyage, et ne fit même que s’exaspérer, à
mesure que les lieues passaient.
    Parce qu’il n’avait pas reçu à la
cour d’Angleterre l’accueil qu’il escomptait, parce qu’on ne lui avait pas, sur
sa seule mine, rendu des honneurs de prince, il s’était fait l’opinion,
lorsqu’il remit le pied en France, que les Anglais constituaient une nation
barbare. Quant à la reine Isabelle, si elle était malheureuse, si son mari la
bafouait, elle ne recevait là qu’à proportion de son mérite. « Comment ?
On traverse la mer, on risque sa vie pour elle, et l’on n’est pas plus remercié
que si l’on était un valet ! Ces gens-là ont de grands airs appris, mais
point de manières de cour, et ils rebutent les meilleurs dévouements. Ils n’ont
point à s’étonner d’être si mal aimés et si bien trahis. »
    La jeunesse ne renonce pas aisément
à ses désirs d’importance. Sur les mêmes routes où, quatre jours plus tôt, il
s’était cru déjà ambassadeur et amant royal, Guccio se disait
rageusement : « J’aurai ma revanche. » Comment ? Sur
qui ? Il n’en savait rien. Mais il lui fallait une revanche.
    Et d’abord, puisque le destin et le
dédain des rois voulaient le maintenir dans sa condition de Lombard il allait
se montrer un Lombard comme on en avait rarement vu. Un banquier puissant,
audacieux et retors ; un prêteur impitoyable. Son oncle l’avait chargé de
passer par le comptoir de Neauphle pour recouvrer une créance ? Eh
bien ! Les débiteurs ignoraient quelle foudre allait s’abattre sur leur
dos !
    Prenant par Pontoise pour bifurquer
à travers l’Ile-de-France, Guccio arriva à Neauphle-le-Vieux le jour de la
Saint-Hugues.
    Le comptoir Tolomei occupait une
maison proche de l’église, sur la place du bourg. Guccio y entra d’un pas de
maître, se fit montrer les registres, houspilla son monde. À quoi le commis
principal était-il bon ? Faudrait-il que lui, Guccio Baglioni, propre
neveu du chef de la Compagnie, se dérangeât pour chaque créance en
souffrance ? Et d’abord, qui étaient ces châtelains de Cressay qui
devaient trois cents livres ? On le renseigna. Le père était mort ;
oui, cela Guccio le savait. Et puis ? Il y avait deux fils, vingt et
vingt-deux ans. Que faisaient-ils ? Ils chassaient… Des fainéants,
évidemment. Il y avait aussi une fille, seize ans… laide certainement, décida
Guccio. Et une mère, qui faisait marcher la maison depuis le décès du sire de
Cressay. Des gens de bonne noblesse, mais sans un sou vaillant… Combien
valaient leur château, leurs champs ? Huit cents, neuf cents livres. Ils
avaient un moulin, et une trentaine de serfs sur leurs terres.
    — Et vous n’arrivez pas à les
faire payer ? s’écria Guccio. Vous allez voir, avec moi, si cela va durer
longtemps ! Comment s’appelle le prévôt de Montfort ?
Portefruit ? Très bien. Si ce soir ils n’ont pas remboursé, je vais trouver
le prévôt [14] et je les fais saisir. Voilà !
    Il se remit en selle et partit au
grand

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