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Le Roi de fer

Le Roi de fer

Titel: Le Roi de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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Du
temps, je vous en ai donné et vous n’avez point payé, coupa le prévôt.
    Il avait les bras courts, la face
ronde et le ton tranchant.
    — Mon labeur n’est point
d’entendre vos griefs, mais de faire rentrer les dettes, continua-t-il. Vous
devez encore au Trésor trois cent trente livres. Si vous ne les avez point,
tant pis ; je saisis et je vends.
    Guccio pensa : « Ce
gaillard a tout juste le langage que je m’apprêtais à tenir, et quand il sera
passé il ne restera guère à prendre. Mauvais voyage, décidément. Faut-il me
mettre tout de suite de la partie ? »
    Et il se sentit de la hargne envers
ce prévôt mal venu qui lui coupait l’herbe sous le pied.
    La jeune fille qui l’avait accueilli
était demeurée non loin de lui. Il la regarda mieux. Elle était blonde, avec de
belles ondes de cheveux qui sortaient de sa coiffe, une peau lumineuse, un
corps fin, droit et bien formé. Guccio dut reconnaître qu’il avait trop
hâtivement médit d’elle.
    Marie de Cressay, pour sa part,
semblait fort gênée qu’un inconnu assistât à la scène. Il n’arrivait pas tous
les jours qu’un jeune cavalier d’agréable visage, et dont le vêtement disait
assez la richesse, passât par ces campagnes ; c’était vraiment malchance
que cela se produisît justement quand la famille se montrait sous son plus
mauvais jour.
    Là-bas, au bout de la salle, la
discussion se poursuivait.
    — N’est-ce pas assez de perdre
son époux, qu’on doive encore payer six cents livres pour conserver son
toit ? Je ferai plainte au comte de Dreux, répétait dame Eliabel.
    — Nous vous en avons déjà versé
deux cent septante, que nous avons dû emprunter, dit le fils barbu.
    — Nous saisir, c’est nous
réduire à famine, et nous vendre, c’est nous vouloir morts, dit le second fils.
    — Les ordonnances sont les
ordonnances, répliqua le prévôt ; je sais mon droit ; je fais la
saisie et je ferai la vente.
    Vexé comme un acteur dépossédé de
son rôle, Guccio dit à la jeune fille :
    — Ce prévôt m’est bien odieux.
Que vous veut-il ?
    — Je ne sais, et mes frères
guère davantage ; nous comprenons peu à ces choses, répondit-elle. Il
s’agit de la taille de mutation, après le trépas de notre père.
    — Et c’est pour cela qu’il
réclame six cents livres ? dit Guccio en plissant le front.
    — Ah ! Messire, nous avons
le malheur sur nous, murmura-t-elle.
    Leurs regards se rencontrèrent, se
retinrent un instant, et Guccio crut que la jeune fille allait pleurer. Mais
non ; elle tenait bon contre l’adversité, et ce ne fut que par pudeur
qu’elle détourna ses belles prunelles bleu sombre.
    Guccio réfléchissait. Soudain, par
une grande volte à travers la salle, il vint se planter devant l’agent de
l’autorité et lança :
    — Permettez, messire
prévôt ! Ne seriez-vous point un peu en train de voler ?
    Stupéfait, le prévôt lui fit face et
lui demanda qui il était.
    — Il n’importe, répliqua
Guccio, et souhaitez ne point l’apprendre trop vite, si par malchance vos
comptes n’étaient pas justes. Mais j’ai, moi aussi, quelque raison de
m’intéresser aux hoirs du sire de Cressay. Veuillez me dire à combien vous
estimez ce domaine.
    Comme l’autre essayait de le prendre
de haut et menaçait d’appeler ses sergents, Guccio continua :
    — Prenez garde ! Vous
parlez à un homme qui, voici cinq jours, était l’hôte de Madame la reine
d’Angleterre, et qui a le pouvoir, demain, de faire savoir à messire Enguerrand
de Marigny comment ses prévôts se comportent. Alors répondez, messire :
que vaut ce domaine ?
    Ces paroles firent grand effet. Au
nom de Marigny, le prévôt s’était troublé ; la famille se taisait,
attentive, étonnée ; et Guccio se sentit comme grandi de deux pouces.
    — Cressay est porté aux estimations
du bailliage pour trois mille livres, répondit enfin le prévôt.
    — Trois mille, vraiment ?
s’écria Guccio. Trois mille livres, ce manoir de campagne, alors que l’hôtel de
Nesle, qui est l’un des plus beaux de Paris et la demeure de Monseigneur le roi
de Navarre, est inscrit pour cinq mille livres aux registres de la
taille ? On estime cher dans votre bailliage.
    — Il y a les terres.
    — Le tout en vaut neuf cents,
au mieux compté, et je le sais de source sûre.
    Le prévôt avait au front, entourant
l’œil gauche, une large tache de naissance couleur lie-de-vin. Et Guccio, tout
en parlant,

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