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Le Roi de fer

Le Roi de fer

Titel: Le Roi de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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à l’accent zézayant de
Guccio. Elle lui servait le compliment avec adresse.
    « Méfie-toi des flatteries,
avait dit souvent Tolomei à son neveu. La flatterie est le pire péril pour un
banquier. On résiste mal à écouter dire du bien de soi, et mieux vaut pour nous
un voleur qu’un flatteur. »
    Mais Guccio buvait la louange comme
il buvait l’hydromel. En vérité, c’était surtout pour Marie de Cressay qu’il
parlait, pour cette jeune fille qui ne le quittait pas des yeux en levant ses
beaux cils dorés. Elle avait une manière d’écouter, les lèvres entrouvertes
comme une grenade mûre, qui donnait envie à Guccio de parler, de parler encore.
    L’éloignement ennoblit facilement
les gens. Pour Marie, Guccio figurait exactement le prince étranger en voyage.
Il était l’imprévu, l’inespéré, le rêve trop souvent fait, inaccessible, et qui
soudain frappe à la porte avec un vrai visage, un corps bellement vêtu, une
voix.
    L’émerveillement qu’il lisait dans
le regard de Marie fit que Guccio la trouva bientôt la plus belle fille qu’il
ait vue au monde, et la plus désirable. Auprès d’elle la reine d’Angleterre lui
semblait froide comme la pierre d’un tombeau. « Si elle paraissait à la
cour, et vêtue pour cela, se disait-il, elle y serait dans la semaine la plus
admirée. »
    Lorsqu’on se rinça les mains, chacun
était un peu ivre, et le jour venait de tomber.
    Dame Eliabel décida que le jeune
homme ne pouvait pas repartir à cette heure et le pria d’accepter le coucher,
si modeste qu’il fût.
    Elle l’assura aussi que sa monture
avait été bien soignée et conduite aux écuries. L’existence du chevalier
d’aventure continuait, et Guccio trouvait cette vie exaltante.
    Bientôt dame Eliabel et sa fille se
retirèrent. Les frères Cressay conduisirent le voyageur dans la chambre
réservée aux hôtes de passage, et qui semblait n’avoir pas servi depuis
longtemps. À peine couché, Guccio coula dans le sommeil, en pensant à une
bouche, pareille à une grenade mûre, sur laquelle il buvait tout l’amour du
monde.
     

V

LA ROUTE DE NEAUPHLE
    Il fut réveillé par une main qui lui
pesait doucement sur l’épaule. Il faillit prendre cette main et la presser
contre son visage… Ouvrant l’œil, il vit, au-dessus de lui, l’abondant poitrail
et le visage souriant de dame Eliabel.
    — Avez-vous bien dormi,
messire ?
    Il faisait grand jour. Guccio, un
peu embarrassé, assura qu’il avait passé une excellente nuit, et qu’il voulait
se hâter maintenant de faire toilette.
    — C’est honte que d’être ainsi
devant vous, dit-il.
    Dame Eliabel appela le paysan
boiteux qui, la veille, avait servi à table ; elle lui commanda de ranimer
le feu, et aussi d’apporter un bassin d’eau chaude et des « toiles »,
c’est-à-dire des serviettes.
    — Autrefois, nous avions au
château une bonne étuve avec une chambre à bains et une chambre à suer. Mais
tout y tombait en pièces, car elle datait de l’aïeul de mon défunt, et nous
n’avons jamais eu assez pour la remettre en état. Aujourd’hui, elle sert à remiser
le bois. Ah ! La vie n’est point aisée pour nous, gens de campagne !
    « Elle commence à prêcher pour
la créance », pensa Guccio.
    Il se sentait la tête un peu lourde
des boissons du dîner. Il demanda nouvelles de Pierre et Jean de Cressay ;
ils étaient partis pour la chasse dès l’aube. Plus hésitant, il s’enquit de
Marie. Dame Eliabel répondit que sa fille avait dû se rendre à Neauphle pour
quelques achats de ménage.
    — J’y vais tout à l’heure, dit
Guccio. Si j’avais su, j’aurais pu la conduire sur mon cheval et lui éviter la
peine du chemin.
    Il se demanda si la châtelaine
n’avait pas fait exprès d’éloigner toute sa famille pour demeurer seule avec
lui. D’autant que lorsque le boiteux eut apporté le bassin, dont il répandit un
bon quart sur le sol, dame Eliabel resta là, chauffant les toiles devant le
feu. Guccio attendait qu’elle se retirât.
    — Lavez-vous donc, mon jeune
messire, dit-elle. Nos servantes sont si balourdes qu’elles vous écorcheraient
en vous séchant. Et c’est bien le moins que j’aie soin de vous.
    Bredouillant un remerciement, Guccio
se résolut à se mettre nu jusqu’à la taille ; évitant de regarder la dame,
il s’aspergea d’eau tiède la tête et le torse. Il était assez maigre, comme on
l’est à son âge, mais bien tourné dans sa petite

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