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Le Roi de fer

Le Roi de fer

Titel: Le Roi de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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crainte de l’inconnu,
plus fort que les préceptes enseignés et les mises en garde des confesseurs.
Elle se sentait livrée entièrement à une volonté étrangère. Ses mains se
crispaient un peu plus sur ce manteau, sur ce dos d’homme qui constituait en
l’instant, au milieu du chavirement de tout, la seule certitude de l’univers.
    Le cheval qui allait, rênes longues,
s’arrêta de lui-même pour manger une jeune pousse.
    Guccio descendit, prit Marie dans
ses bras et la posa sur le sol. Mais il ne la lâcha point et garda les mains
autour de sa taille, qu’il s’étonna de trouver si étroite et si mince. La jeune
fille demeurait sans bouger, prisonnière, inquiète, mais consentante, entre ces
doigts qui l’enserraient. Guccio sentit qu’il fallait parler ; et ce
furent les paroles italiennes pour exprimer l’amour qui lui vinrent aux
lèvres :
    — Ti voglio bene, ti voglio
tanto bene.
    Elle parut les comprendre, tellement
la voix suffisait à en donner le sens.
    À contempler ainsi Marie, sous le soleil,
Guccio vit que les cils de la jeune fille n’étaient pas dorés comme il l’avait
cru, ni ses cheveux vraiment blonds. Elle était une châtaine à reflets roux,
avec une carnation de blonde et de grands yeux bleu foncé, largement dessinés
sous le sourcil. D’où venait alors cet éclat doré qui émanait d’elle ?
D’instant en instant, Marie devenait pour Guccio plus exacte, plus réelle, et
elle était parfaitement belle dans cette réalité. Il l’étreignit plus
étroitement, glissa la main lentement, doucement le long de la hanche, puis du
corsage, continuant d’apprendre la vérité de ce corps.
    — Non… murmura-t-elle éloignant
cette main.
    Mais comme si elle craignait de le
décevoir, elle renversa un peu le visage vers le sien. Elle avait entrouvert
les lèvres, et ses yeux étaient clos. Guccio se pencha vers cette bouche, vers
ce beau fruit qu’il convoitait tant. Et ils restèrent ainsi de longues
secondes, parmi le pépiement des oiseaux, les lointains aboiements des chiens,
et toute la grande respiration de la nature qui semblait soulever la terre sous
leurs pieds.
    Quand leurs lèvres se furent
séparées, Guccio remarqua le tronc verdâtre et tordu d’un gros pommier qui
croissait là, et cet arbre lui parut étonnamment beau et vivant, comme il n’en
avait jamais vu de pareil jusqu’à ce jour. Une pie sautillait dans le seigle
nouveau ; et le garçon des villes demeurait tout surpris de ce baiser en
plein champ.
    — Vous êtes venu ; vous
êtes enfin venu, murmura Marie.
    On eût dit qu’elle l’attendait
depuis le fond des âges, depuis le fond des nuits. Elle ne le quittait plus du
regard.
    Il voulut reprendre sa bouche, mais
cette fois elle refusa.
    — Non, il faut retourner,
dit-elle.
    Elle avait la certitude que l’amour
était apparu dans sa vie, et pour l’instant elle était comblée. Elle ne
souhaitait rien de plus.
    Quand elle fut de nouveau assise sur
le cheval, derrière Guccio, elle passa les bras autour de la poitrine du jeune
Siennois, posa la tête contre son épaule, et se laissa aller ainsi, au rythme
de la monture, liée à l’homme que Dieu lui avait envoyé.
    Elle avait le goût du miracle et le
sens de l’absolu. Pas un instant elle n’imagina que Guccio pût être dans une
disposition d’âme différente de la sienne, ni que le baiser qu’ils avaient
échangé pût avoir pour lui une signification moins grave que celle qu’elle y
attachait.
    Elle ne se redressa, et ne reprit le
maintien qui convenait, que lorsque les toits de Cressay apparurent dans le
val.
    Les deux frères étaient rentrés de
la chasse. Dame Eliabel vit sans plaisir Marie revenir en compagnie de Guccio.
Quoi qu’ils fissent pour ne rien laisser paraître, les jeunes gens avaient un
air de bonheur qui donna du dépit à la grasse châtelaine et lui inspira des
pensées de sévérité envers sa fille. Mais elle n’osa aucune remarque en
présence du jeune banquier.
    — J’ai fait rencontre de
damoiselle Marie, et lui ai demandé de me montrer les alentours de votre
domaine, dit Guccio. C’est belle terre que vous possédez.
    Puis il ajouta :
    — J’ai ordonné qu’on reporte
votre créance à l’an prochain ; mon oncle, j’espère, m’approuvera. Peut-on
rien refuser à si noble dame !
    Alors dame Eliabel gloussa et prit
un air de discret triomphe.
    On fit à Guccio force
remerciements ; pourtant, quand il annonça qu’il allait

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